Dr Fineltain Ludwig
Paris (France)
Le samedi 24 janvier 1999: complété le 28.10.2000
EPHEMERIDES 2 et 3
Les réunions de l'Académie des Sciences Sexologiques se tiennent chaque année en très petit comité. La coutume consiste à choisir une "ville d'eaux". Cette année en revanche la réunion s'est tenue au bord du petit lac des Buttes-Chaumont à Paris.
Les intervenants de ce jour ont été:
Dr Zagury
Dr Michel Meignant
Dr Gilles Formet
Dr Gilbert Tordjeman
Dr Charles Gellman
La conférence du Dr Zagury fut principalement consacrée aux délinquants sexuels.
1) Le nombre important d'agressions sexuelles dont sont victimes les enfants est connu depuis longtemps, comme en témoignent les chiffres publiés par Ambroise Tardieu en 1885. L'ouvrage de VIGARELLO, consacré à l'histoire du viol, montre que notre représentation actuelle du viol est d'acquisition toute récente.
En France, la conscience collective a été successivement mobilisée par le viol, l'inceste, la pédophilie et notre pays s'est doté le 17 juin 1998 d'une loi concernant le suivi socio-judicaire des délinquants sexuels: se limitera-t-elle à un effet d'annonce démagogique, compte tenu notamment de la situation dramatique de la psychiatrie publique ou bien sera-t-elle vraiment appliquée?
De façon symptomatique, le débat a été centré sur l'éthique plus que sur la clinique. J'ai récemment insisté sur les ravages de cette "conscience sans science" dont la question des délinquants sexuels est l'illustration frappante.
2) Pourtant, que d'interrogations sur ce retour en force du mal dans la clinique des perversions! Freud a dénié que l'on puisse attribuer au terme de perversion le moindre caractère de blâme. En psychanalyse, on ne parle de perversion qu'en relation à la sexualité. Il n'y a de perversion qu'érotique. La perversité est exclue du champ freudien des perversions. Mais la chose résiste à la pudeur des mots: Racamier a situé les perversions narcissiques du côté de la perversité; Bergeret a insisté sur l'expression sexuelle d'une violence fondamentale; Balier a introduit le terme de la perversité sexuelle pour qualifier les cas qu'il traitait en prison; Green a écrit que la sexualité n'a partie liée avec le mal que lorsque sa composante érotique est dominée par sa composante narcissique.
Dans ce trajet qui va de perversion érotique en perversion narcissique, de sexualité en perversité, il est devenu habituel d'invoquer les écrits freudiens sur le déni, le clivage et la pulsion d'emprise.
3) A partir de mon expérience de la criminologie, je souhaite soulever toutes ces questions et en débattre avec vous, à partir d'exemple cliniques de pédophilie, de viol, d'inceste et de meurtres en série.
Bien entendu, nous discuterons la question de l'existence éventuelle de zones de recoupement entre le champ des perversions sexuelles, de la perversité à expression sexuelle et de la souffrance sexuelle qui sollicite la sexologie clinique.
Le paysage judiciaire a été modifié par la récente loi 98-468.
Il faut regarder l'histoire de ces événements comme un balancier. Il faut un crime pour qu'à nouveau se produise une chasse aux pédophiles. On y retrouve la rhétorique de la chasse aux sorcières du 16ème siècle. Il y aurait une immaturité propre à la France.
La nouvelle loi est-elle seulement applicable?
Notons que des abus sexuels peuvent quelques fois, quoique rarement, être commis par des femmes. L'apparition de violences sexuelles exercées par les femmes va susciter de nouveaux travaux.
Freud, en juin 1906, fut invité à un séminaire à propos de l'application de la psychanalyse à la criminologie. Existe-t-il une analogie entre le secret du criminel et celui de l'hystérique? On guette l'avis des psychologues pour savoir si un criminel peut avoir commis un délit symptomatique. Le destin du complexe d'Oedipe peut-il aider à comprendre les mécanismes psychiques du délinquant? Freud fut sollicité de donner son avis à propos du cas célèbre d'un parricide. L'expertise de la Faculté d'Innsbrück a conduit Freud à maintenir la psychanalyse en retrait dans une prudente réserve. L'abandon de la Neurotica correspond à l'époque du désintérêt de Freud pour les criminels.
L'immense majorité des délinquants observés par Zagury sont incapables d'éprouver le moindre sentiment de culpabilité.
Maintenant des psychanalystes font dériver leur discipline dans des domaines qui ne sont pas les leurs! La méconnaissance de la plainte des victimes de la part des psychanalystes doit être soulignée. De même le parti-pris du fantasme contre l'événement.
Ferenczi plus que d'autres psychanalystes a étudié la psychocriminologie au travers surtout du concept de "l'identification à l'agresseur". Plus tard au 2ème Congrès Mondial de Criminologie étaient présents tous les grands noms de la psychanalyse. Le renouveau vient maintenant avec Claude Ballier. Il fallait certainement que les psychanalystes aillent à la rencontre des pervers dans les lieux mêmes de l'incarcération pour mieux comprendre le phénomène. Ceci est nouveau. Racamier d'une part et Bergeret d'autre part tournent autour de la notion de "pré-représentation originaire". Le geste criminel se présente comme le seul recours face au risque d'effondrement.
Les définitions sont défaillantes. Définissant la perversion, le "Vocabulaire" de Laplanche reprend les observations classiques: "Déviation par rapport à l'acte normal". On connaît bien toutes les précisions qui s'ensuivent. Freud insistait sur les termes: besoin impérieux, fixation et stéréotypie. Cette définition ne nous aide pas beaucoup. La définition de 1905 requérait l'exclusivité et la fixation. En fait on rencontre le plus souvent des formes mixtes: des défenses perverses, des moments pervers plus souvent que des organisations stables.
Le pervers de Freud est en quelque sorte "démoralisé" par les psychanalystes. Ceux-ci écartent du champ de leur représentation mentale la malignité et la cruauté. Le mal est exclu du champ freudien. Mais le mal résiste. En psychanalyse seul existe la perversion érotique. Chez André Green, la sexualité n'a de rapport avec le mal que lorsque le narcissisme est au centre de la problématique. La notion de violence fondamentale de Bergeret est séduisante mais peu constructive. Le travail de Racamier se concentre sur la perversion narcissique. Racamier relie les perversions narcissiques au champ de la perversité. Nous sommes dans le champ de l'acte. La détresse primaire est totalement externalisée.
Les réflexions criminologiques du Dr Zagury sont parties d'une rencontre traumatique avec deux ou trois tueurs en série. Les experts ont tenu à leur endroit des propos variés, contrastés et insensés. Dans une expertise récente le Dr Zagury a mis en évidence dans le chapitre de la discussion du cas clinique quelques faits ahurissants: le jeune homme était d'un contact agréable; il manifestait un véritable clivage du Moi? L'observateur est médusé. Cet homme ou ces hommes réussissent à transformer la déréliction en crimes.
Il faut soigneusement distinguer deux concepts: perversions et perversité.
Les types de personnalité sont très différents parmi les violeurs, les pédophiles et les tueurs en série.
La coexcitaion sexuelle. Un tueur en série étudié par Zagury a volé une malheureuse petite vieille; puis il l'a tuée et enfin il a violé le cadavre. Il s'est produit une orgie narcissique. Il a donc procédé à une pénétration de surcroît. Alors que par ailleurs, soulignons-le, ils savent jouir normalement avec leur partenaire!
Quant à la pédophilie: on ne parle pas facilement de ce sujet aux divers publics. Le danger d'amalgame est considérable. La conscience collective s'empare de ce sujet puis s'en détourne. Ainsi par exemple la thèse des violeurs pédophiles anciennes victimes d'abus sexuels est une thèse discutable. Les abuseurs d'enfants n'ont été abusés eux-mêmes que pour 30% d'entre eux. (Note du commentateur: c'est quand même beaucoup). Comme la justice se tient derrière l'expert celui-ci s'autorise un regard humain. La pédophilie en général, ça ne veut rien dire. Quels sont les rapports entre Dutroux, délinquant organisé, et les intellectuels esthètes comme le fut un André Gide?
Il faut donner à l'enfant une valeur de sujet désiré. Faute d'avoir été pour leurs parents l'objet d'émerveillement ces délinquants pervers, toute leur vie, vont essayer de compenser cette carence fondamentale. C'est très fort: on retrouve toujours une carence froide. A côté de cela le concept canadien de fantasme déviant n'est pas acceptable.
Une expertise au chapitre discussion: cet homme de 50 ans intelligent occupait des fonctions sociales très importantes. Le climat familial: absence de câlins, père autoritaire, abandonnisme intrafamilial. Les psychanalystes ont insisté sur l'absence d'idéalisation de l'enfant de la part des parents. Ajoutons-y l'ambiance délétère des écoles religieuses à qui on l'avait très tôt confié où il crut déceler la légitimation de certains contacts. Des prêtres, affirmait-il, avaient eu parfois ce type de comportement avec les enfants.
Le propos de l'expert quant à l'avenir est très difficile. Il lui faudra travailler les situations à risque. Il attend parfois l'action magique de l'antihormone. Cordier ou Ballier dit qu'il y a 10% des cas qui sont une bonne indication des antihormones. Il ne semblait pas à Zagury que l'organisation névrotique de l'homme de la dernière expertise fût une indication de prescrire ce médicament.
Quand du côté de la victime il y a eu plaisir au moment de l'inceste cela représente les cas les plus graves pour l'avenir.
Les questions des participants:
1.*Maintenant des psychanalystes font dériver leur discipline dans des domaines qui ne sont pas la leur.
2.*La chasse aux sorcières du 16ème siècle.
3.*Rappelez-vous la recherche des crimes et délits au travers des rêves des enfants.
4.*C'est quand même beaucoup: 30% d'abuseurs ayant été eux-mêmes abusés.
5.*Que faire des fausses accusations?
6.*Cordier ou Ballier dit qu'il y a 10% des cas qui sont une bonne indication des antihormones. Il ne semblait pas à Zagury que l'organisation névrotique de l'homme de la dernière expertise fût une organisation pour le médicament. Il faut souligner que l'expérience de la SFSC a contribué à donner une grande valeur aux découvertes pharmacologiques.
7.*Le texte de loi a parlé d'abord de "Peine de suivi thérapeutique". Il y a une deuxième mouture. En réalité le nombre de médecins est insuffisant. Le risque est celui d'un effet d'annonce. Il faut encore répondre au risque de récidive. C'est un piège. D'un tout petit contingent on peut affirmer la récidive probable. Si on rétorque: mais alors c'est que la psychiatrie n'est pas une science! Vous répondrez: mais justement parce que la psychiatrie est une science elle ne peut pas prévoir à coup sûr. Les expertises de libération pré-conditionnelles sont passionnantes mais difficiles.
Melloy psychanalyste a écrit sur le sujet un bouquin important: il dit qu'il faut dans beaucoup de cas savoir renoncer à la psychanalyse. Les indications des antihormones sont cependant justifiées pour seulement 10% des cas:
- ceux pour qui il n'y a rien d'abordable
- ceux qui ont une pulsion sexuelle d'une grande force
Il faut des équipes de volontaires formés.
8.*Un psychologue ayant travaillé dans un SRPR intervient au cours du débat: les pointeurs ont besoin du clivage. Il a préconisé la création d'un département de formation pour travailler sur des thèmes devant aboutir à un centre spécialisé pour les auteurs et les victimes d'agressions et d'abus sexuels.
Dr Meignant
Les agressions sexuelles par personne ayant un rang d'autorité sont graves. Mais quand la personne en cause est un psychothérapeute la position d'autorité est encore plus grande puisque en outre il dispose des instruments de connaissance psychique du patient. Donc cela devient très grave.
Dr Formet
Inceste et structure de Gilles Formet. L'inceste est un signe. Un patient a décrit ses "gestes paternels incontrôlés". Après la prison il devint assez autocritique et déprimé. Un autre s'accuse excessivement pour aller en prison et permet ainsi un accès symbolique par le bais de la coupure.
Dr Tordjeman
Dr Gilbert Tordjman. Désir, sexualité et agressivité. La thèse est celle-ci: l'agressivité nécessaire d'une part et d'autre part l'inhibition de cette composante. Nous connaissons mieux les localisations cérébrales hippocampiques de l'inhibition de l'agressivité. Les activations cérébrales des émotions agressives et sexuelles apparaissent au PET dans ces localisations cérébrales.
Dr Gellman
L'un de nos collègues a présenté la cassette de l'examen clinique d'un pédophile. Cette cassette avait été réalisée avec l'aide clinique d'éducatrices spécialisées du Ministère de la Justice. Cet homme multi-récidiviste n'éprouvait aucun remords: bien au contraire développait-il toute une argumentation positive. Il disait: "Je ne suis pas pédophile mais je suis pédéraste"!
Janvier 1999