Je me souviens des longues discussions à propos des mécanismes de l'autisme infantile.
Je ne parlerai guère de l'aventure remarquable dans le "Secteur du XIIIème" puis ensuite à Bobigny.
Serge Lebovici a beaucoup écrit, en particulier dans les revues de psychanalyse, de psychiatrie et de psychiatrie infanto-juvénile.
Je rappellerai seulement les livres dont je ne saurais me passer comme "Un cas de Psychose Infantile Etude Psychanalytique" par Serge Lebovici et Joyce McDougall, PUF (1960) assez vite traduit en américain en 1969 sous le titre de "Dialogue with Sammy; a psycho-analytical contribution to the understanding of child psychosis", Edited by Martin James, "Les Sentiments de Culpabilité chez l'Enfant et chez l'Adulte", Serge Lebovici, Hachette (1971), "Le psychanalyste sans divan" de Racamier et Lebovici, "La connaissance de l'enfant par la psychanalyse" (1971) de Lebovici et Soulé avec la collaboration de Simone Decobert et Janine Noël, et sa participation au remarquable "Traitement au long cours des états psychotiques" (Colloque février 1972) ainsi que "Psychoanalysis in France" de Serge Lebovici and Daniel Widlöcher en 1980.
Vous connaissez tous ces livres précieux, accompagnement familier, livres que l'on feuillette souvent et qu'on ne prête guère de peur de ne jamais les récupérer! Eh bien! Ces livres-là font partie de mon trésor de psychanalyste bibliophile.
Mais on perçoit encore mieux la pensée de Serge Lebovici quand il commente les travaux d'autres psychanalystes. Deux exemples me reviennent en mémoire:
1) Lebovici et le souci de l'enseignement.
Dans un numéro spécial de l'Evolution Psychiatrique en forme d'hommage à Henri Ey, Serge Lebovici rédige "La psychologie médicale et son enseignement" (L'Evolution Psychiatrique 1977, Tome XLII, Fasc. III/2 Numéro Spécial Hommage à Henri Ey, pages 999 sq.). Il y décrit les moments importants de son propre destin psychiatrique. Les thèmes sont les suivants: comment maintenir la psychiatrie dans le champ de la médecine sans qu'elle perde pour autant son originalité; pourquoi l'apprentissage de la relation médecin-malade dans les structures hiérarchisées de l'université ne peut être que sommaire. Comme Balint, Lebovici a très tôt conçu l'intérêt de la formation en groupe capable d'initier les médecins à la relation psychothérapique avec les patients (Psychiatr. Enf. 1968). Ce type d'apprentissage est fructueux et ne risque pas de gêner l'identification réciproque et l'empathie commune des participants et du psychanalyste-moniteur. Serge Lebovici a su apprécier la leçon de Balint. Il aimait la pratique du monitorat des candidats psychanalystes en groupe.
Il montre fort bien dans ce texte consacré à l'étude détaillée des manuels de psychologie médicale son souci pour ne pas dire son obsession de la pédagogie de la psychologie médicale. Il partageait à cette époque avec Signoret l'enseignement de la psychologie médicale à l'UER médicale de La Pitié-Salpêtrière. Il expose la difficile naissance de l'enseignement de la psychologie médicale.
Ainsi l'hommage à Henri Ey se transforme-t-il en un dialogue au delà de la mort sur les relations entre psychiatres, psychanalystes et médecins internistes somaticiens.
2) Serge Lebovici et l'étude des développements de la psychanalyse.
L'article, à propos d'un livre de Widlöcher, est paru en juillet 1987 dans la prestigieuse revue "L'Evolution Psychiatrique". Serge Lebovici, dans un exemple caractéristique de sa méthode réflexive, développe une étude subtile et minutieuse des enjeux du texte. Le thème central de la discussion est en somme "la dignité de la métapsychologie psychanalytique" . Il y commente une distinction opérée par Widlöcher, dans son livre "La métapsychologie du sens" entre actes de pensée et actes de langage. Voici que naît sous nos yeux un dialogue remarquable qui met en scène un débat entre novation et tradition dans le monde psychanalytique. Serge Lebovici aimait à défendre les aspects les plus précieux de la doxa psychanalytique. Ainsi pour Widlöcher la pensée est un passage à l'acte mental. Le dialogue porte sur la question suivante: "Est-ce que l'acte de pensée est assimilable à la pensée de celui qui le pense?". La psychanalyse pose l'existence d'actes inconscients. Widlöcher, dans cet ouvrage, ne raisonnait pas ainsi. Comme beaucoup d'autres désormais il faisait appel à l'impact du conditionnement opérant. Et Serge Lebovici de discuter subtilement les enjeux de la pensée psychanalytique orthodoxe. Le grand problème de Serge Lebovici consistait à montrer que la théorie psychanalytique éclairée par les travaux de Hartmann et d'Anna Freud n'était pas loin de constituer la meilleure théorie de la psychologie clinique.
Chacun sait d'autre part comme la dimension interpersonnelle de la psychanalyse fait obstacle à l'étude épidémiologique. Serge Lebovici était extrêmement sensible à cet argument. Mais, pensait-il, faut-il pour autant se désintéresser de la métapsychologie?
Mais voici encore une autre façon de poser le problème: l'inconscient est-il un substantif ou un adjectif? Ceci demeurera la grande question des temps modernes puisque les enjeux à propos des nouvelles formes de psychothérapie sont considérables.
Quand Serge Lebovici nous parle de Widlöcher il fait aussi une incursion dans le domaine de Jacques Lacan en particulier à propos du mécanisme d'identification à l'Autre et de la naissance du sujet. La cohérence de la métapsychologie requérait d'abord pour Serge Lebovici qu'on rejetât le causalisme historique naïf et le recours à une biographie dramatisée.
L'art de Serge Lebovici consistait en ceci: il nous appelait à dialoguer avec d'autres pensées psychanalytiques, à en commenter les textes pour autant qu'ils respectent un minimum de procédure scientifique.
Maintenant que le temps a passé je regrette bien entendu de ne pas l'avoir revu plus souvent, de ne pas l'avoir remercié d'un très grand nombre de gestes précieux qu'il a prodigués en faveur d'amis très proches et enfin de ne pas l'avoir remercié du dernier geste qui m'allait droit au coeur. Ainsi pouvons-nous sans doute commencer notre travail de deuil.
Dr Ludwig Fineltain à Paris le 1er septembre 2000