EPHEMERIDES FIN 2001
Bulletin de psychiatrie
(parution semestrielle ou annuelle)
Ephemerides fin 2001: Revue des revues
Dr Fineltain Ludwig
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Paris

E-mail: fineltainl@yahoo.fr
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Edition du 2.12.2001 et troisième mise à jour du 23.12.01
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L'Hôtel-Dieu
Soeurs Confesses noires et blanches à l'Hôtel-Dieu

EPHEMERIDES FIN 2001
Dr Ludwig Fineltain

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EPHEMERIDES FIN 2001


Les événements de la fin de l'année 2001.
Deux revues médicales remarquables en cette fin d'année 2001: l'une est psychiatrique et l'autre médicale.


   
    Deux revues médicales remarquables en cette fin d'année 2001: l'une est psychiatrique et l'autre médicale.
    Notons au préalable comme les revues psychiatriques sont à la dérive. Nous recevons chaque mois des exemplaires aux papiers glacés ornés de magnifiques reproductions d'oeuvres d'art. Une lecture distraite de deux ou trois pages précède l'inexorable mise au pilon. Grande misère morale des revues psychiatriques! On peut raisonnablement conjecturer la prochaine disparition d'un grand nombre d'entre elles. La plus prestigieuse d'entre elles, L'Evolution Psychiatrique, n'est plus guère lue que par un tout petit cénacle de spécialistes nostalgiques du Cercle d'Etudes Psychiatriques d'Henri Ey.
   
    1) Une revue cependant fait périodiquement des efforts méritoires: il s'agit d'Abstract Psychiatrie dont le N°228 d'octobre 2001 est particulièrement intéressant. Longtemps cantonnée dans la compilation d'abstracts de congrès et de notes techniques des laboratoires, elle a soudain fait paraître des articles courts, originaux et brillants. Trois articles dans ce numéro sont pétillants d'intelligence.
    - L'article "Philosophie et psychiatrie" est centré sur le travail du Dr Georges Charbonneau. Celui-ci mène depuis quelques années un séminaire intitulé "Phénoménologie et Psychiatrie" à l'Hôpital Necker sous le parrainage du Pr Quentin Debray. Le Dr Georges Charbonneau est convaincu de la validité de la réflexion phénoménologique et de la Daseinanalyse dans les thérapies des schizophrènes et des dépressifs.
    - Le compte rendu de la "5ème Conférence Internationale de Philosophie et Psychiatrie", sous-titrée "Douleur et dépression", à Paris en décembre 2000 à la Nouvelle Faculté de Médecine. Ce congrès, fort discret, atteste cependant l'existence d'une prise de conscience salutaire dans le monde des psychiatres: il n'est pas de psychiatrie sans un effort de réflexion philosophique. Cette notion fondamentale est de mieux en mieux comprise par les psychiatres. Les psychanalystes traditionnels n'ont pas encore aperçu l'importance de cet enjeu.
    - L'interview du Dr Vassilis Kapsambélis concerne, selon moi, la grande question de cette fin de siècle: le dialogue entre la psychanalyse et la psychopharmacologie. Le Dr Kapsambélis, sous l'intitulé "Médicaments et psychanalyse", mène avec beaucoup de sérénité une réflexion nécessaire sur ce thème. Ce thème se transforme plus volontiers en confrontation qu'en dialogue dans l'esprit de la plupart des psychanalystes traditionnels. Il en résulte une zone de pénombre et d'indicible parfaitement antinomique de la réflexion scientifique. Est-il possible d'assumer la conduite de la cure psychanalytique en même temps que la prescription de psychotropes? L'auteur répond par l'affirmative en dépassionnant le débat.
    - Dans le même numéro un compte-rendu du colloque annuel de la SPP est présenté par le Dr Thierry Bokanowski. On peut y lire avec une surprise bienveillante une réflexion sur l'évolution des fondements théoriques de la cure. Un sous-titre remarquable, "Ces considérations mènent à des aménagements de la cure dont celui du maniement du silence", en dit long à cet égard. L'analyste traditionnel fait donc connaissance avec le syndrome borderline! Ma surprise résulte des observations que j'avais faites jadis dans l'univers de la rue Saint-Jacques. Je me souviens en effet d'une déplorable impression de chape de plomb, d'une atmosphère de caporalisme et d'une grande pauvreté de l'innovation théorique. Tout ceci contrastait vivement avec la qualité intellectuelle des adhérents qui fréquentaient les divers séminaires. Je me souviens en effet qu'à l'époque l'élite des internats en psychiatrie fréquentait l'Institut de la rue Saint-Jacques. Voici soudain qu'apparaissent, trente ans après, les jeunes turcs de l'Institut. Nous devons nous en réjouir.
   
    2) La revue du praticien du 12 novembre 2001, "Spécial Cinquantenaire".
    Le numéro spécial, consacré à l'histoire de la médecine, du 12 novembre 2001, numéro du cinquantenaire est tout simplement remarquable. Chacun d'entre vous doit se le procurer. Il me donne l'occasion de retrouver nos brillants collègues, Mme Danielle Gourévitch, spécialiste de la paléographie grecque et latine, et le Dr Michel Gourévitch, Médecin des Hôpitaux Psychiatriques de la Seine.
    Cette prestigieuse revue intéressait plus volontiers le monde des étudiants avancés en médecine, des internistes et des chirurgiens. Elle n'a dans mon souvenir pratiquement jamais produit de numéro psychiatrique de grande valeur. La Revue du Praticien était jadis une revue absolument indispensable aux jeunes médecins qui préparaient les grands concours hospitalo-universitaires. Je ne la consultais plus guère depuis des années. Le thème du numéro de novembre 2001, "Histoire du concept de maladie", était particulièrement attrayant. Rapidement épuisé le numéro a réapparu sur les présentoirs des bonnes librairies du Quartier Latin seulement au début de décembre. Il faudrait en réalité citer tous les articles. Quelques uns d'entre eux méritent un commentaire particulier.
    1) L'avant-propos de Danielle Gourevitch pose très bien le problème épistémologique. J'ai trouvé étonnant et même émouvant comme l'auteur, qui n'est donc pas médecin, adjure chacun d'entre nous de redevenir "un maître à penser". Quelques notations doivent être soulignées: la triple observation à propos des "affaires", de la suprématie de l'anglais et de l'éthique. Comme on aimerait avoir écrit ces incontestables vérités dans les mêmes termes! Je me dois de citer in extenso un chapitre absolument remarquable de son exposé : "Cette médecine technique et déshumanisée n'a pas de passé (d'où des "affaires" souvent sans précédent, comme celle du sang contaminé), pas de langue culturelle (d'où l'anglais médical et le conformisme rédactionnel), pas de philosophie (d'où les "comités d'éthique"), pas même de livre: combien de jeunes docteurs n'ont parcouru que des cours polycopiés? Une seule espérance à nos yeux, le rééquilibrage des matières scientifiques par des enseignements littéraires. Mais quelle méthode pour cette histoire de la médecine? Pour ne pas être une simple toge vaguement élégante dans laquelle se draper, mais pour être au contraire véritablement utile à la pratique quotidienne du médecin, la meilleure histoire de la médecine sera, à notre avis, philologique au sens noble d'étude intime et approfondie des textes - antiques, modernes et même contemporains, en français et dans les langues étrangères, anciennes et vivantes -; elle enseignera à bien lire, à aller au fond des choses dans la compréhension du passé, plus ou moins ancien."
    Le voeu d'un complément de formation littéraire fut, selon moi, exaucé dans la Vienne des années 1870-80. Trois années étaient requises puis ensuite, à partir de 1873, deux années préparatoires avant de commencer la médecine qui constituaient une sorte de propédeutique littéraire et philosophique. Merveilleuse époque dans des contrées de grande culture mais en même temps, ne l'oublions jamais, terreau de la plus grande sauvagerie du 20ème siècle sinon de tous les temps. Freud fut un produit exemplaire de ce programme de formation. Celui-ci, malgré ses préventions contre les "crispations" philosophiques, tient sa connaissance de la Naturphilosophie à la faveur des cours et des séminaires du Pr Franz Brentano.
    Je cite de nouveau D.Gourévitch: "Notre espérance est que le médecin, redevenu demain comme jadis mieux disposé à écouter comme à lire, redevienne en même temps un maître à penser". L'auteur rêve que le médecin redevienne rien de moins qu'un humaniste! Cette réflexion qui me venait à l'esprit sous une autre forme - pourquoi faut-il un comité d'éthique alors que le médecin chaque jour résout des problèmes humains - Danielle Gourévitch l'expose de façon lumineuse. Nous avons créé en effet un comité national d'éthique parce que nous ne réfléchissons plus! Leçon dure mais juste leçon et qui de surcroît devait être énoncée par une personne extérieure au monde des médecins.
    Ma seule réserve concerne le point de vue suivant lequel l'histoire de l'anatomie ou de l'enseignement médical n'aurait touché qu'une partie seulement des lecteurs de la revue. C'est faire fi des livres anciens d'anatomie qui ornent les rayons de nos bibliothèques médicales !
    - Dans l'article "La conception galénique de la maladie", Danielle Gourevitch nous décrit comment Galien considère la maladie comme les éléments emboîtés d'une poupée gigogne. Elle décrit le destin de la théorie hippocratique des fluides du corps dans l'oeuvre de Galien. Mais qui est Galien? Il est grec, né en 129 à Pergame. Ce médecin grec se perfectionne et exerce à Alexandrie puis de nouveau à Pergame où il devient médecin des gladiateurs. Je suppose que cette fonction devait être particulièrement recherchée. Puis il augmente sa gloire à Rome sous le règne de Marc Aurèle.
    Sa théorie de la dyscrasie des humeurs peut faire sourire le lecteur contemporain et pourtant elle a fait naître des échos contemporains. Certes Mme Gourevitch n'y fait pas allusion, mais nous trouvons cette sorte de requête inquiète dans l'oeuvre de Jean Delay (la théorie neuro-humorale de la psychose n'est rien d'autre) puis de nos jours dans la théorie du balancement entre dopaminergie et adrénergie des dépressions et de la schizophrénie. Nos théoriciens modernes procèdent parfois comme le célèbre barman du Ritz qui compose savamment de merveilleux cocktails. Une compréhension succincte du psychisme conduit à une représentations des symptômes et du caractère comme un cocktail des humeurs et des neurotransmetteurs.
    - L'article du Dr Michel Gourevitch, "Naissance de la maladie mentale", illustre la nécessité pour le psychiatre de bien connaître l'histoire de sa discipline. Sachons gré au Dr Michel Gourévitch de distinguer chez nos prédécesseurs ceux qui manifestaient "de l'intérêt théorique pour la folie, pour une folie abstraite .. et ceux qui comme Pinel eurent le souci d'acquérir l'expérience clinique, sans laquelle il n'y a pas de médecine, de la folie chronique telle qu'elle est et non telle que la conçoivent les philosophes".
    Je ne sais si l'auteur pensait aux temps présents mais sa leçon me paraît si actuelle que je ne peux m'empêcher de songer aux innombrables revues de psychologie clinique sur les commodes de la librairie "La Hune" à Saint-Germain des Près. Quand elles s'imaginent parler de psychopathologie nous y lisons tout autre chose: des résurgences poétiques appauvries inspirées des univers littéraires dadaïstes et surréalistes.
    J'ajoute à cet égard quelques réflexions personnelles. Ceux d'entre nous qui avancent sur le chemin de la psychiatrie sans connaître son histoire, ceux-là sont comme des aveugles sur le chemin de Compostelle: ils n'admirent pas le paysage. Ils vont vers les titres et les diplômes, sans états d'âme, acceptant comme des évidences des bobards et des rumeurs éculés. La communauté des psychiatres et des psychanalystes est riche en rumeurs infondées! Trois ou quatre d'entre elles sont remarquables: la légende de Pinel et des chaînes, l'intervention houleuse de Freud à l'Académie de Médecine, la guérison miraculeuse des psychotiques à l'aube de la Passe lacanienne. Que peut comprendre de l'art du psychiatre celui qui en néglige les fondements historiques?
    - Autre remarquable chapitre celui qui décrit l'évolution du concept de dépression.
    J'ai cru lire un texte de mise en garde. L'usage de la catégorie de la dépression, dilution déplorable du concept de maladie mentales, ai-je compris, autorise le Dr Gourevitch de formuler une conclusion péjorative quant au destin de la psychiatrie. Nous savions hier définir la maladie mentale. L'auteur conclut désormais que la maladie mentale est ou sera seulement "ce que soigne le psychiatre".
    La dépression, donc, estime le Dr Gourévitch est un exemple de dilution du concept de maladie mentale. Je suis bien d'accord avec lui sur ce point: la dépression est bien le terme qui subsume dans le discours profane toutes les formes de maladie mentale. Le public paramédical lui aussi s'est abusivement emparé de ce concept. Les laboratoires mènent leurs enquêtes auprès de nos collègues en agitant ce concept avec beaucoup trop d'assurance. On peut s'en offusquer, rien n'y fait: le langage s'est figé dans des termes consacrés. Ce terme est donc devenu la tarte à la crème de la psychopathologie contemporaine. L'histoire du concept est très éclairante. Mais je ne suis pas certain, comme l'affirme l'auteur que l'acédie ait obéi à l'influence de la mode comme le spleen. Je pense que l'acédie constituait une vraie pathologie mentale.
    Nous souhaitons et nous attendons un article supplémentaire du Dr Gourévitch sur ce remarquable phénomène de société que représente la dépression.
   
   



Dr Ludwig Fineltain