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Les réseaux sont un grand progrès mais ils ont aussi leurs écueils et leurs pièges. Jupiter a coutume de rendre fous ceux qu'il veut perdre "Quos vult perdere Jupiter dementat prius". Après la prise de Troie, Ulysse, craignant la colère de Poséidon, dieu de la Mer, va errer durant 10 ans sur les flots. Avec ses compagnons, il rencontre la magicienne Circé qui le met en garde. Au large de l'île des Sirènes des femmes oiseaux envoûtent les hommes par leurs chants mélodieux. Ils pourraient les écouter à condition toutefois d'être ligotés au mât du bateau. Mais ensuite il leur faut naviguer entre deux périls, Scylla monstre à six têtes qui dévore tout être vivant, et Charybde qui chaque jour aspire et recrache trois fois les eaux. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage! Un périple de dix années c'est peut-être long mais la recherche des amours ressemble aussi aux longs voyages. On peut légitimement partir longtemps à sa recherche.
Les réseaux sociaux mettent en relation des gens sur des bases professionnelles ou universitaires. Les réseaux numériques sont un maillage des personnes et des éléments. Je poserais tout d'abord quelques questions:
1) Comment dire les grandeurs et les misères des réseaux?
2) Le mérite d'un réseau c'est tout d'abord d'exister. Un réseau est une promesse d'échanges fructueux.
3) Comment dessiner le passé, le présent et le futur des réseaux numériques?
4) Existe-t-il une nouvelle communication? Les réseaux nous obligent à repenser la communication. Tout le monde veut communiquer pour communiquer mais cela n'a pas beaucoup de sens, ça n'a rien d'exaltant. Il manque un complément d'objet pour dire "communiquer quoi?"
5) Quel est donc réellement l'effet des réseaux numériques sur les liens sociaux?
Parmi les effets négatifs des réseaux on a très tôt évoqué la question de l'addiction. En 1995 le Dr Yvan Goldberg qui avait créé un réseau médical inventa le canular d'une pathologie proposée à l'Association Psychiatrique Américaine, le syndrome de la dépendance à Internet. Ce canular a pris forme et lui a échappé! Et c'est ça, la preuve de la force des réseaux.
Longtemps après le Minitel, les réseaux ont été captés par les très grands groupes comme Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Yahoo et Twitter mais aussi YouTube qui a beaucoup progressé dans ce sens. On désigne ces groupes sous le sigle GAFA
Parmi les réseaux numériques les sites de rencontres facilitent et promeuvent la rencontre amoureuse. Les grands réseaux de rencontre comme Meetic démarrent en 1994. Ils peuvent relier entre eux des millions de personnes.
Les sites de rencontres et les applications succèdent aux agences matrimoniales et aux speed meetings. Ils se substituent aux boites de nuit, aux bals du village, aux bals du 14 juillet et aux bals des pompiers, aux guinches et aux bals musette qui facilitaient les rencontres depuis plusieurs générations. D'innombrables petits réseaux sociaux jadis prospéraient ici et là. Parmi toutes les formes d'associations, les clubs de fans jouent aussi ce rôle de lieux de rendez-vous. Je me souviens du club Maxim Saury à Juan sur la Plage des Pirates tout près de ma plage préférée qui réunissait chaque année en été des français, des belges et des hollandais. Il foncionnait comme un réseau de rencontres sentimentales.
Mais bien avant le minitel et internet ont existé des réseaux téléphoniques. On se souvient d'un système assez obscur entre 1970 et 1980 surnommé "Réso" qui fonctionnait grâce à une faille technique dans le système des communications des PTT. Les jeunes gens occupant une cabine téléphonique consacraient du temps à la drague et aux rencontres. C'était donc un réseau social pirate dont plus personne ne se souvient! Mais c'est surtout le Minitel rose qui est certainement le véritable ancêtre des sites de rencontre numériques: 25 millions de personnes à son apogée étaient connectées au Minitel! C'est considérable! Les premiers clubs de rencontre, Cum et Ulla, ont eu un succès immédiat. En l'an 2000, 2 à 3 millions de personnes étaient connectées au minitel rose "3615 Ulla".
La presse a décrit le succès, dans les cafés, des dates aux Etats-Unis. Cela ne signifiait pas nécessairement le début d'une relation mais un rendez-vous pour "prendre date". Les "speed dating ou speed meeting" avaient initialement une vocation précise. Ils sont moqués dans "La vérité si je mens N°2": "Aux States, t'as des dates, mais tu niques pas!". Ces rendez-vous étaient organisés sous la férule d'une morale très conventionnelle. Le "speed dating" ou rencontres rapides a été créé à Los Angeles par le Rav Deyo pour favoriser les rencontres communautaires. Le principe était précis: sept hommes, sept femmes, sept minutes. La première rencontre de Speed Dating a eu lieu en 1998 au Pete's Café de Beverly Hills réservée donc à une communauté restreinte. En l'espace d'une année la méthode de Deyo s'est étendue à toutes les grandes cités américaines. Deyo décrit plusieurs stratégies pour évaluer rapidement le potentiel d'une relation. La dimension pédagogique et morale y apparaissait primordiale. Une variante, les "blind dates", rendez-vous impromptus ou rencontre à l'aveugle, mettent en relation des célibataires sur le principe du marketing viral. Comment cela fonctionne-t-il? Un message électronique est expédié puis réexpédié à des amis.
En France, le Speed Dating débarque en 2000. Ce modèle s'impose très rapidement sur Internet. Le principe reste le même mais les personnes communiquent avec un texte ou une webcam depuis leur domicile. La rencontre est numérique et elle est donc enrichie par des photos et des fiches. D'un certain point de vue la première rencontre en ligne est de plus en plus brève.
Un patient hésitant entre deux amours un jour m'a posé la question suivante dès notre première rencontre: "Comment définir: "amour", "aimer" ou encore "être amoureux"?". Ce sont des questions redoutables. Affirmer que l'amour est une notion éternelle n'est pas encore une réponse suffisante. Distinguer Eros, Philia et Agapê n'est pas non plus satisfaisant. Je me suis souvenu d'un exposé devant mes collègues où j'invoquais quatre sources du bel amour quand Eros, Philia et Agapê convoquent une quatrième vertu, la Koïné, c'est à dire le désir de communauté, de solidarité et d'entraide qui est aussi une dimension fondamentale de l'amour. Les couples qui s'aiment passent leur vie à s'entraider. La question posée par ce patient indiquait en tous cas d'emblée la nature de sa souffrance et le déroulement ultérieur de son analyse.
Les rencontres amoureuses changent-elles de forme?
1) La persistance des archétypes. Le souci des familles bourgeoises de jadis recherchant "un parti" était "la bonne situation". Les qualités du prétendant qu'on présente à la jeune fille étaient récitées comme une liste de mérites. La situation, le métier, la fortune de la famille, la position sociale et l'éducation y jouaient un grand rôle. Les sites de rencontre assument certainement le choix des familles bourgeoises du XIXème siècle. Nous pouvons repérer les multiples qualités exposées dans la fiche. Une personne m'a dit: "J'ai un ami qui a trouvé son grand amour sur Meetic, mais il savait exactement ce qui lui convenait, l'âge, le physique et la situation sociale de sa future compagne". Une autre "Les cases que j'avais cochées me montraient le profil type de mon prince charmant". On sait que la photo compte beaucoup. On sait moins bien qu'une orthographe déficiente et une grammaire erronée sont des arguments négatifs. On sait aussi qu'il y a des statuts sociaux et des professions plus sexy que d'autres.
2) Les nouveautés amoureuses
Le défaut fondamental est la quête perpétuelle, défaut structurel qui s'appelle cumul, zapping, excès. Mais encore faut-il se demander de quoi la quête perpétuelle est le symptôme. Quel est le sens d'une avidité insatiable? Le psychanalyste répond à cette question.
D'autres risques des sites doivent être pris en compte. Parmi les risques j'en repère au moins deux: le risque de l'addiction aux sites et les fréquentes déceptions. On connaît les effets de l'addiction. Quant aux déceptions et autres affects dépressifs ils résultent de l'idéalisation d'un partenaire rêvé.
3) Existe-t-il des méthodes de séduction propres aux sites de rencontre? Les dragueurs malheureux ne savent pas à quels saints se vouer. Ils craignent de ne pas connaître la magie de maintenir une nouvelle relation, bref de ne pas savoir draguer de façon pertinente. Le séducteur déficient est à l'affut de méthodes et de conseils. Chaque conseiller bien entendu promeut sa méthode qui est toujours meilleure que celle du concurrent. Certains d'entre eux suggèrent la méthode des "5-Pourquoi" qui est bien connue des techniciens et de cadres. Une série de questions itératives permettent d'aboutir à la source initiale d'un problème. Ainsi, dans la plupart des cas, la cause identifiée est une cause indirecte et secondaire, voire carrément une conséquence. Alors que bien souvent ce n'est pas la cause initiale du problème posé (identifier et énoncer clairement une situation avec un "Que se passe-t-il?", "Pourquoi cela arrive-t-il si osuvent?" et de pourquoi en pourquoi jusqu'à un acquiescement)
Le sexologue s'intéresse baucoup plus aux difficultés de la vie sexuelle qu'aux vicissitudes de la vie amoureuse.
La dépendance sexuelle est une question difficile. Est-ce que les sites de rencontre favorisent ou exacerbent la dépendance sexuelle? Ce n'est pas certain. D'autre part, l'addiction sexuelle est-elle une addiction comme une autre? Les affamés de l'amour ne sont cependant pas les affamés du sexe.
Toute proche de l'addiction sexuelle nous avons la question de l'hypersexualité. Peut-on donner une définition pertinente de l'hypersexualité? L'hypersexualité est connotée avec des données culturelles. Les réseaux en tous cas facilitent et favorisent de nouvelles conduites de performance sexuelle. Nous avons peu de réponse spécifiquement sexologique aux sexualités excessives.
Les pathologies du sexe nous éloignent des sites de rencontre. Certains collègues ont coutume, dans les cas de voyeurisme, de prescrire du Salvacyl (ce type de molécule se substitue à l'Androcur ou acétate de cyprotérone qui est un simple antiandrogène; l'embonate de triptoréline est un décapeptide de synthèse imitant la GnRH naturelle libérant la gonadotrophine et entraînant une inhibition de la sécrétion gonadotrope supprimant les fonctions testiculaire et ovarienne; il se produit aussi un effet gonadique direct par diminution de la sensibilité des récepteurs périphériques à la GnRH). En réalité je demeure sceptique quant à la pertinence de ce traitement dans des cas de perversion "limitée" considérant que c’est un bazooka pour un moustique. On ne doit pas prendre les campanules pour des fleurs de la passion! Ceci dit, il arrive que les personnes demandent elles-mêmes un blocage de la sécrétion de testostérone.
Ces cas sont difficiles et je plaide pour que psychiatres, psychologues et psychanalystes reçoivent une meilleure formation en sexologie clinique.
Le psychanalyste Christian David, que j'aimais beaucoup, a rédigé une thèse sur l'état amoureux. Il le décrit ainsi «Une constellation dynamique de désirs, de sensations, de fantasmes et d’affects, conscients et inconscients, qui modifie, pour un temps, l’ensemble de l’organisation personnelle et qui se traduit par une disposition irréversible à constituer l’objet élu en tant que source et centre de toute satisfaction, de tout bonheur, mobilisant l’essentiel des ressources énergétiques». Mais d'une façon générale la psychanalyse n'a pas pour vocation d'interpréter l'état amoureux qui est plus volontiers considéré comme une remarquable oeuvre personnelle.
Le psychanalyste s'intéresse aux souffrances induites par les succès et les chagrins amoureux. Le psychanalyste s'intéresse notamment aux addictions aux réseaux. Il s'intéresse aussi aux addictions sexuelles. La dépendance répond aux satisfactions orales et cutanées primaires. Le problème est difficile face à une répétition désespérante de la pulsion. Les rapports entre les satisfactions orales primaires et les rituels obsessionnels ne peuvent laisser personne indifférent.
Les conduites de dépendance intéressent tout un chacun y compris l'auteur de ces lignes. Du temps de ma jeunesse quand je jouais au jeu d'échec dans des clubs parisiens j'ai failli y laisser ma santé. Je me levais la nuit pour étudier les ouvertures des grands maîtres soviétiques. Ça s'est terminé par une solennelle résolution de laisser tomber le jeu d'échec que je déplie désormais seulement une fois par an.
Cas clinique N°1
Ce patient m’est adressé par une collègue psychiatre effrayée par la quantité de contacts féminins sur les sites, par la masse des films pornographiques engrangés jour et nuit et par la quête systématique d’escort girls des beaux quartiers. Il est marié et il a deux enfants. Il voudrait finalement divorcer. Sa profession, l'architecture, lui procurait assurément les moyens de sa politique sexuelle. Ma première impression ne fut pas du tout péjorative. Le surgissement par épisode de frénésies sexuelles ne m'apparaissait pas du domaine de la pathologie. On donne volontiers un nom de maladie spécifique aux dépendances sexuelles et aux dépendances à Internet. Je ne raisonne pas tout à fait comme cela. La dimension perverse inquiétante eût consisté à remplacer totalement la relation sexuelle génitale par autre chose comme par exemple le voyeurisme ou le fétichisme qui provoqueraient presque exclusivement l'orgasme.
Je lui ai fait comprendre qu'il entretenait avec ses amours des relations ambiguës. L'instauration tôt ou tard de relations sadomasochistes entre lui et ses "objets d'amour" constitue effectivement un problème. En parlant de son enfance il avait un vif sentiment de culpabilité. J’évoquais une sorte de «fonction paravent» masquant une faute imaginaire antérieure (le divorce de ses parents). Je l'avais perdu de vue. Mais j'ai appris longtemps après qu'il avait mené à bien son divorce.
Cas clinique N°2
Une couleur fétichiste de la frénésie sexuelle. Monsieur et Madame G. sont malheureux. En fait c'est plutôt Mme G. qui est malheureuse. Son mari a des pulsions sexuelles déviantes. Il a une addiction aux sites de rencontre. Et en outre il rapine un grand nombre de petites culottes de femmes. Il fait du "guetteurisme" et il se livre de temps en temps à des masturbations exhibées. En fait il est parvenu très longtemps à dissimuler son voyeurisme. J'ai continué de suivre régulièrement Mme G. qui était déprimée. Quand elle a appris les anomalies de son mari elle a songé à divorcer mais elle demeurait hésitante. J’avais fait l’hypothèse psychanalytique, mais de loin, que la mère de Monsieur G., froide et gendarmesque, avait conforté chez son fils une indistinction des sexes, une négation fantasmée de la castration imaginaire, une persistance d’un fantasme de pénis maternel imaginaire. J’ai appris qu’un collègue avait prescrit du Salvacyl. Je demeure sceptique considérant que c’était un bazooka pour un moustique. Ceci dit, il arrive que les personnes paradoxalement demandent elles-mêmes un blocage de la sécrétion de testostérone.
Cas clinique N°3 Mr R. fréquentait un site de rencontre pour assouvir des besoins considérables de relations sexuelles. Qu'est-ce qu'une dépendance de couleur névrotique? Le psychanalyste pense que la dépendance répond aux satisfactions orales et cutanées primaires. Le problème est difficile devant une répétition incessante et désespérante de la pulsion. Les rapports entre les satisfactions orales primaires et les rituels obsessionnels ne peuvent laisser personne indifférent.
Mais d'un autre côté la voracité sexuelle est une régression sexuelle orale archaïque que tout le monde a pu vivre un moment ou un autre au cours de la vie sentimentale. Est-ce que les sites de rencontre favorisent ou exacerbent la dépendance sexuelle? Ce n'est pas certain. D'autre part, l'addiction sexuelle est-elle une addiction comme une autre? Les affamés de l'amour ne sont pas les affamés du sexe.
Toute proche de l'addiction sexuelle nous avons la question de l'hypersexualité. Peut-on donner une définition pertinente de l'hypersexualité? L'hypersexualité est connotée avec des données culturelles. Nous autres psychiatres et sexologues masculins, dans les pays latins, nous avons tendance à minimiser la portée de ces troubles de l'adaptation sexuelle. Les hommes des pays latins considèrent généralement que "plus on cherche à baiser mieux c'est!". Les réseaux en tous cas facilitent et favorisent de nouvelles conduites de performance sexuelle. Nous avons peu de réponse spécifiquement sexologique aux sexualités excessives. Et pourtant, comme dans mon premier cas clinique, on voit bien que le retentissement sur l'adaptation à la vie sociale, professionnelle et existentielle est considérable. Dans tous les cas je plaide pour que psychiatres, psychologues et psychanalystes reçoivent une solide formation en sexologie clinique.
Cas clinique N°4
Q. 23 ans, est un étudiant à l'Alliance Française. Il souffre d'une "phobie sociale évitante", d'une conduite d'échec névrotique et d'un grand sentiment d'incomplétude. Il demande à entreprendre une thérapie psychanalytique. Il est très immature. Ce jeune homme inhibé appartient à une grande famille fortunée du Moyen Orient. Il est assez fier d'avoir acquis une formation de "motoriste" qui lui a valu une récompense des autorités suprêmes. Sa plainte principale est celle-ci: "Il ne parvient pas à draguer". Il a commencé un coaching dans une "Ecole Française de Séduction" qu'il fréquente assidûment. Il a fait incontestablement quelques progrès.
Cas clinique N°5
Bo. Il écrit à sa conseillère en séduction: "J'ai compris ce qui m'empêche d'avancer dans mes rencontres: c'est la peur du rejet. Peut-être un ego trop important! Cette peur s'estompe généralement quand je m'y confronte et que je prends confiance en mes capacités. J'en veux un peu à tout le monde: à ma famille, à mes clients, à l'état et à certains amis. J'en ai assez des bienséances. Ça me pèse trop et j'ai envie de faire ce que je veux. Je ne suis pas dans un bon état d'esprit car je ne m'intéresse pas autres. Je serais capable par moment de me droguer non pas par goût mais rien que pour dire merde à tout le monde. J'aimerais pouvoir exploser. Je peux gérer mon entreprise mais par contre, en matière de sexualité, je ne suis pas normal. J'en veux à ma famille. Mon projet de rendez-vous d'hier avec une fille a été reporté et une copine m'a présenté une autre fille célibataire. J'ai aussi trois rendez-vous prévus grâce à Meetic. Sinon, rien d'original, rien de nouveau sinon qu'hier je me suis promené dans la campagne environnante". Les raisons d'un choix de site de rencontre sont perceptibles dans l'exposé lui-même du récit de ses journées: il fait en somme ses courses sans grand imprévu! Le site de rencontre entretient la banalité de la rencontre amoureuse!
Cas clinique N°6 à Montpellier. Cette femme de 40 ans a choisi de s'inscrire dans un site. Elle habite dans un bourg où tout le monde se connaît. Elle est mariée et elle a été trompée. Aborder un homme dans ces conditions n'est pas chose facile. Elle suit une psychothérapie. Elle a vu un psychiatre une seule fois puis un psychologue qui lui a recommandé de quitter un mari décrit comme pervers narcissique. Et puis un autre thérapeute encore et puis enfin elle poursuit des séances avec notre collègue psychologue et sexologue. Celle-ci a posé une question à sa nouvelle patiente: "Comment voyez-vous votre avenir?" J'ai apprécié la qualité de cette question qui en somme introduit la pensée téléologique dans le processus psychothérapique. On voit dans cet exemple que le site a procuré à cette patiente une sorte de "thérapie sauvage" qui a fait office de prélude à un processus psychothérapique.
Quelles sont les circonstances de la rencontre avec les spécialistes psychiatres, psychologues ou sexologues?
1) Les personnes qui ne parviennent pas à nouer des relations amoureuses viennent chercher des raisons de leurs difficultés.
2) Les personnes déprimées, esseulées pour la 10ème fois veulent comprendre leur structure psychique
Un de mes patients jadis, officier supérieur, après un divorce douloureux, déçu par les sites de rencontre, fut plongé dans un état de profonde désillusion. Il s'est installé dans une sorte de solitude dépressive douloureuse.
3) Quelques réflexions préalables. Les sites de rencontre facilitent-elles une sortie de la solitude? Pas vraiment! Des gens incapables de nouer des liens dans la vie réelle ne parviennent pas non plus à construire des liens à la faveur des sites de rencontre. Je veux dire que les rendez-vous sont certainement plus nombreux mais les échanges ne se prolongent pas dans le temps. On conçoit aisément que l'amertume est accrue. Bref ces personnes éprouvent de grande difficulté de sortir de la solitude malgré leurs constants efforts.
4) Autre question: le psychiatre peut-il aider les consultants à aller à la rencontre de leurs amours? Je me souviens d'un fait étonnant. L'un de nos collègues qui avait participé très tôt à la fondation des sociétés de sexologie clinique et qui par ailleurs était depuis longtemps un psychanalyste jungien facilitait les rencontres dans sa salle d'attente!
5) On sollicite des psychiatres à propos de l'addiction aux réseaux de rencontre. Les habitués des réseaux donnent le sobriquet de e-boulets à ces gens dépendants! Ces personnes se plaignent parfois de faire une overdose de rencontres. Mais ils pourraient prendre conscience qu'ils font aussi dans ces sites une overdose de soi-même.
6) Je note que le site de rencontre peut avoir un effet quasiment thérapeutique. Il offre en miroir une image de soi-même. De ce point de vue on peut concevoir que l'expérience du site de rencontre peut constituer une porte d'entrée pour accéder à un travail psychothérapique.
7) Le rôle des thérapies. Les doléances habituelles sont des sollicitations comme une phobie sociale, une peur des femmes, une peur du sexe, une absence de désir sexuel, une frigidité, une anorgasmie ou encore une impuissance érectile. Certains d'entre eux consultent parfois des psychiatres, des psychologues ou des sexologues. Les propositions thérapeutiques sont essentiellement la psychanalyse et la psychothérapie d'inspiration psychanalytique, la sexothérapie et la cosexothérapie de couple. La psychothérapie de soutien ou bien une psychothérapie cognitivo-comportementale sont également en vogue dans le petit monde des psychiatres.
Il faut tout d'abord constater la facilité des adhésions qui requièrent seulement quelques précisions comme le genre de la personne qu'on souhaite rencontrer, la date de naissance, le lieu de résidence, l'adresse mail, un pseudo et un mot de passe.
Les sites de rencontre sont un grand océan des désirs en quête d'objets d'amour. Quelques critères font la notoriété d'un réseau. Tout d'abord la beauté ou la pertinence des sites de rencontre: c'est le nombre des inscrits. Qui dit hypermarché dit datas. Si jadis la richesse était l'apanage de ceux qui possédaient des terres, aujourd'hui ce sont les datas qui font la puissance des GAFA c'est à dire des grands groupes qui dominent internet. C'est ainsi qu'il faut comprendre le néologisme dataïsme construit par référence au célèbre mouvement poétique, le dadaïsme. Les datas de masse vont gouverner le destin des réseaux.
Les réseaux sont tout autant des objets d'usage que des objets d'études. L'étude des groupes sociaux est une passion classique pour les psychosociologues. Moreno en particulier a proposé de savantes études comme la sociométrie et le sociogramme. La sociométrie est un outil qui étudie les structures sociales à la lumière des attractions et des répulsions dans un groupe dont le sociogramme est la représentation graphique.
Avec internet évidemment tout ceci a connu une nouvelle vie. En l'an 2000, avant l'explosion du numérique, on redoutait un déclin du lien social. Maintenant depuis Internet le sociologue Maffesoli nous décrit au contraire une nouvelle sociabilité. On a accusé tout d'abord les réseaux d'internet d'affaiblir les liens entre les gens. En réalité Internet est un accompagnement et non une cause des transformations des relations sociales. L'hypothèse est donc celle-ci: Internet en informatisant les relations a répondu comme par magie à cette profonde aspiration des années 60. Est-ce que le virtuel affaiblit les liens entre les gens? Est-ce qu'on devient moins hiérarchisé, plus égalitaire et plus démocratique? C'est possible. Mais ces nouveaux liens sont en fait des "liens de faible intensité". Sur Facebook on compte le nombre des amis qui en fait ne sont pas de vrais amis. Il manque entre eux le lien contractuel des amitiés réelles -j'allais dire des amitiés de jadis-. Je ne pense pas que 1000 amis sur Facebook soient mémorisables mais 50, certainement. Or jadis nous avions 2 ou 3 bons amis! Rappelons-nous à cet égard que les psychologues de la dynamique de groupe considèrent que le chiffre 3 ou 4 désigne déjà un "groupe restreint". Que dire alors des mille et des dix mille?
Existe-t-il une novation? Est-ce que le numérique crée une nouvelle société? En fait c'est la demande de lien qui a suscité la création des réseaux numériques et non l'inverse! Avant l'explosion du numérique en l'an 2000 on redoutait un déclin du lien social.
Maintenant depuis Internet on parle au contraire d'une nouvelle sociabilité (Maffesoli). Par exemple ce sociologue de la "postmodernité", Maffesoli, nous dit qu'on a désormais des identités multiples. Il nous dit que la révolution numérique encourage le nomadisme. On a des identités multiples. On crée de nouvelles tribus.
Mais surtout on entremêle dans un véritable méli-mélo le banal et le savant comme on peut voir dans Google, dans Yahoo et dans Baidu (créé en 2000 par Li Yanhong en mandarin et non en pinyin). Ce méli-mélo de Google est troublant. Le bon référencement est désormais plus costaud que la bonne pertinence!
On a accusé très tôt les réseaux d'internet d'affaiblir les liens entre les gens. En réalité Internet est un accompagnement et non une cause des transformations des relations sociales. L'hypothèse est donc celle-ci: Internet en informatisant les relations a répondu comme par magie à cette profonde aspiration des années 60. Il est important d'examiner le problème du virtuel. Est que le virtuel affaiblit les liens entre les gens? Est-ce qu'une sociabilité à distance modifie la cohésion sociale? Est-ce qu'on devient moins hiérarchisé, plus égalitaire et plus démocratique? C'est possible. Par exemple on peut considérer que les révoltes arabes ont été manifestement le produit des échanges sur les réseaux numériques! Mais ces nouveaux liens sont en fait des "liens faibles". Sur Facebook on compte le nombre des amis qui en fait ce ne sont pas de vrais amis. Il manque entre eux le lien contractuel des amitiés réelles -j'allais dire des amitiés de jadis-. Il ne s'agit donc pas vraiment de liens forts
Fait étrange, on observe que "l'empan relationnel des gens" s'est accru. L'empan est l'espace du pouce à l'index. Mais c'est encore une série qui peut être mémorisée en une seule fois. Je ne pense pas que 1000 amis sur facebook soient mémorisables mais 50 certainement. Or jadis nous avions seulement 2 ou 3 bons amis! Les liens s'étendent à de nouveaux domaines de l'existence. En tous cas désormais assurément un grand nombre de gens, des foules bref des peuples entiers sont connectés sur des réseaux. L'empan relationnel intéresse le sociologue. A la foule des "réseauteurs disons tout d'abord qu'il existe de bonnes règles de la vie des groupes. Notons par exemple la règle des 150 ou nombre de Dunbar. C'est le nombre maximum d'individus avec lesquels une personne peut entretenir simultanément une relation humaine stable. Cette limite est en relation avec les fonctions cognitives supérieures néocorticales. C'est la bonne taille d'un réseau social. Au-dessus trop c'est trop! Rappelons à cet égard que les psychologues de la dynamique de groupe considèrent que le chiffre 3 ou 4 désigne déjà un "groupe restreint".
Le réseau oblige à poser la question du réel et du virtuel. Nous avons une vision péjorative du virtuel. Cette conception provient de nos traditions cartésiennes et scientifiques. Mais nous aurions tort de considérer que le virtuel est inférieur au réel. On peut concevoir les réseaux comme un voyage dans de nouveaux espaces. De ce fait ces réseaux ne sont pas uniquement des exploiteurs de nos désirs mais au contraire ils augmentent notre vécu. Bref ils sont aussi pour chacun d'entre nous des espaces de rêve. Je suis assez souvent critique à l'encontre de Meetic. Mais de petits penseurs moralistes comme Alain Badiou accusent trop vite les sites de rencontre de tous les maux. Il accuse Meetic d'avoir une conception utilitariste de l'amour. En fait c'est beaucoup plus complexe. Réduirait-on la Salle Drouot à une conception marchande de l'art? C'est juste mais c'est tout à fait insuffisant. Drouot fait aussi vivre l'art. Le réseau fait vivre le voyage, le rêve et l'amour. Le réseau se met au temps verbal du "factitif", celui du "faire faire": il fait voyager dans l'imaginaire.
Les réseaux démontrent que nous avons des identités multiples.
La bizarrerie de la providence.- Les réseaux font la promotion de la providence. L'avenir des réseaux aura la forme du Web-3 c'est à dire une forme sémantique. Il fera la promotion d'une intelligence collective. Si vous rassemblez les données provenant de différents catalogues pour faciliter les interrelations vous favorisez la découverte fortuite. C'est cela que nous pouvons nommer "l'heureuse bizarrerie de la providence"
Nous avons déjà dit que le nombre fait le bonheur des réseaux numériques. On dit que 77% des français sont inscrits sur un réseau et 60% s'y connectent tous les jours. Mais nous savions déjà que dans les domaines techniques et scientifiques les apports des réseaux sont considérables. Cela n'est plus à prouver!
1)La thèse du philosophe Marc Carpentier.- L'auteur explique le lien indéfini du désir d'amour ou de contact en ligne à son objet qui est "virtuel". Pour Hobbes par exemple, "ce ne sont pas les qualités intrinsèques de l'objet qui suscitent le désir, mais le désir qui révèle les qualités de son objet" quoique virtuel. Le désir d'un internaute fréquentant un site de rencontres est donc "indéterminé" et "indifférencié" compte tenu de la nature humaine. Dans le cadre des sites de rencontres, l'objet est virtuel, "contingent" et "indéfini", d'où une sorte de "flottement" ou "d'inquiétude" qui troublent l'internaute.
2)La thèse de Marie Bergström dans "Au bonheur des rencontres" insiste sur le nouveau marché économique de la rencontre. Elle prend pour exemple la standardisation des plateformes et la multiplication des sites spécialisés comme ferait un marché en plein développement. Les sites promeuvent les rencontres amoureuses et favorisent surtout une hétérosexualité non conjugale. La discrétion des rencontres en ligne encourage la vie sexuelle des femmes. Voici un grand paradoxe: les sites inventent la discrétion. Les sites de rencontre offrent un observatoire remarquable des nouvelles relations intimes entre les hommes et les femmes. Les sites changent les pratiques plus que les normes sexuelles.
La langue des sites et les clivages sociaux
"Je t'envoie toute mon âme pour remplir tes rêves de cette nuit".
Il existe assurément un parler SMS. On peut y déceler de magnifiques correspondances. Ce langage recèle les codes de la séduction. Il existe donc des codes linguistiques de la séduction. La stylistique des femmes est assez univoque. Mais les hommes, eux, se doivent d'être créatifs!
Sur ces sites, comme dans la vie réelle, qui se ressemble s'assemble! Sur ces sites cela fonctionne comme dans les "afterworks" ou soirées de sorties de bureau qui sont un rite d'intégration des jeunes cadres. Donc qui se ressemble s'assemble surtout à la faveur de la communication écrite! Les grands sites généralistes comme Meetic accueillent une population diversifiée quitte à faire le tri par la suite. On dit que la priorité est au choix des photos et des profils. C'est oublier bien vite la communication écrite, celle des messages échangés. C'est à ce moment qu'ils éliminent les interlocuteurs à qui ils n'ont rien à dire pour privilégier ceux dont la proximité sociale facilite l'échange. Sur internet où beaucoup de choses se passent par l'écrit, une mauvaise orthographe est discriminante. Un usager diplômé va disqualifier celui qui multiplie les fautes d'orthographe et de grammaire. Le maniement de la langue est certes un critère social mais il devient très vite un critère moral, un trait de caractère et un indice de personnalité. On y décèle de la négligence, une jeunesse excessive ou un manque de substance.
Je donne une grande importance à la rhétorique des petits messages ou micro-rhétorique. Les réseaux numériques sont gouvernés par le langage. Il existe assurément une langue des sites. Un message doit être bien rédigé et il doit être convaincant. Il s'agit dans un message de ne pas déraper et de ne pas dire le contraire de ce qu'on voulait dire. L'exquise Juliette Drouet a envoyé 22.000 lettres d'amour à Victor Hugo. Elle écrit: "Je t'envoie toute mon âme pour remplir tes rêves de cette nuit". On reconnaît la stylistique des lettres d'amour mais on ne doit pas ignorer la poétique du numérique, celle des emails et des textos.
Il est difficile de circonscrire "une psychologie clinique des réseaux". Peut-être faut-il commencer par poser la question: à quoi répondent les réseaux? Les réseaux sans doute facilitent les rencontres par un effet de masse. Mais les réseaux traduisent tout d'abord l'incapacité de séduire dans la vie réelle. Or les comportements de séduction dans la vie réelle et dans l'espace virtuel se ressemblent.
Examinons l'occurrence de thématiques récurrentes: la peur des sentiments, la peur des femmes, la peur du sexe et la peur des échecs.
Dans les réseaux il y a des succès et des échecs, des vainqueurs et des vaincus et enfin des malades et des victimes. Examinons les risques incontestables des réseaux. J'en repère au moins deux: le risque de l'addiction aux sites et le risque des répétitions des déceptions douloureuses.
Notons encore d'autres risques des réseaux: l'anonymat facilite les dérapages. Pourquoi? Le "ni vu ni connu" est propice aux fantasmes d'omnipotence. Il autorise la levée des censures et les comportements régressifs mais aussi les décompensations psychiques et les comportements délictueux. Le pseudonyme derrière quoi, dans le net, la personne s'abrite est propice à la levée des inhibitions.
Il existe des effets paradoxaux et inattendus des réseaux: "la thérapie sauvage". Le net au travers des forums agit comme ferait une thérapie de groupe sauvage. De quoi s'agit-il? J'appelle psychothérapie sauvage celle qui traite le patient au moyen d'une agitation vaine sans cohérence doctrinale comme on fait d'une bouteille d'Orangina. Chacun sait qu'il faut la secouer énergiquement pour bien mélanger la pulpe d'orange. Mais, soyons équitable, on peut aussi légitimement se méfier d’une psychanalyse trop «pure». Ceci implique, quand il faut affronter une déception ou un échec, que personne n'est là présent au domicile de la personne dépressive pour ramasser les morceaux et pour mettre en oeuvre un soin psychothérapique. Il peut en résulter une série de passages à l'acte préjudiciables au cybernaute. C'est une pratique hélas très répandue!
L'ensemble de ces processus bien entendu n'appartiennent pas aux seuls forums sexuels. On les retrouve aussi bien dans la vie quotidienne des séducteurs du dimanche. Mais l'immersion dans le réel permet plus facilement de résoudre les grands problèmes existentiels.
S.R 1.Meetic 3.6 (892 votes) -2.Attractive World 3.4 (850 votes) -3.EasyFlirt 3.3 VI (500 votes) -4.Disons Demain 3.2 (134 votes) -5.Wyylde 3.1 (65 votes) -6.Elite Rencontre 3.1 (1019 votes) -7.Parship 3 (491 votes) -8.NetEchangisme 3 (260 votes) -9.eDarling 2.9 (644 votes) -10.AdopteUnMec 2.7 (587 votes).
Jean-Claude Kaufmann ** Marc Parmentier
Brenot P, Un jour mon prince, Les Arènes, 2014.
Bergström M, La loi du supermarché? Sites de rencontres et représentations de l'amour, "Ethnologie française", PUF, 2013.
Ludwig Fineltain, Glossaire Psychiatrique, Frison-Roche, 1.1.2000.
Kaufmann J-C, Sexamour, Armand Colin, 2010.
Parmentier M, Philosophie des sites de rencontres, "Hermès", CNRS Editions, 2011