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LA PSYCHIATRIE DE CATASTROPHE
Estienne
Poetae graeci
Gravure de Lurat
La leçon de Charcot Tableau de Brouillet: Charcot
Une leçon clinique à la Salpêtrière
(Salon 1887)
Mise à jour du 14-août-05 13:00:34
30ème version
(psy-f??)
1.1 Introduction
2.0 Historique
3.0 Clinique des catastrophes
4.0 Structures d’assistance
5.0 Traitements
6.0 Propositions
7.0 Conclusion
8.0 Bibliographie
9.0 Annexes
1.1. Introduction
Les spécialistes de la psychiatrie de catastrophe sont rares. Les psychiatres sont par tradition mal à l'aise sur le théâtre des crises et des urgences. La meilleure assistance psychiatrique urgente résulte généralement d'une action concertée. Mais quelle est donc la place du psychiatre dans les secours médicaux? L'oeuvre considérable du Dr Louville donne un aperçu de la réponse. Il n'existe pas de catastrophe collective sans un embrasement psychiatrique concomitant ou collatéral.
Je dois manifester à cet égard toute mon admiration à deux collègues qui ont déployé dans ce domaine une ardeur rare et surprenante. Il s'agit tout d'abord du Dr Didier Cremniter, médecin exerçant, je crois, à l'Hôpital Henri Mondor, animateur remarqué d'un congrès de psychiatres urgentistes à la Salpêtrière. J'en avais d'ailleurs rapporté quelques échos dans ce même "Bulletin de Psychiatrie" dans le premier numéro de novembre 94 "Les urgences psychiatriques et la place du psychiatre dans les situations de catastrophe" et en mai 2002 dans "Bioterrorisme AM9". Le second personnage est surprenant. Il s'agit du Pr Louis Crocq. Son parcours n'est pas banal. Issu de la psychiatrie militaire, qui n'est pas le parcours classique des élites psychiatriques, il démontre ensuite ses talents remarquables dans le civil. On lui doit surtout les célèbres Cellules d'Urgence Médico-Psychologiques.
Nous avons certainement en France accumulé un retard considérable et même tragique au regard des enjeux. Il nous suffit d'évoquer à titre de comparaison les stratégies préventives aux Etats-Unis comme les Family Disaster Plan. Une tragédie comme celle des Twin Towers eût provoqué à Paris un double désastre en raison du manque de préparation! Outre l'hécatombe nous eussions été confrontés à une panique collective et à des désordres psychiatriques graves et massifs pour lesquels nous ne sommes absolument pas préparés malgré les rodomontades des ministres de la santé successifs! Je pourrais montrer à cet égard des échanges de lettres édifiants exposés ci-dessous. Les souffrances de Paris eussent été sans doute aucun dix fois plus importantes que celles de New-York.
2.0 Historique
2.1 Histoire du concept de psychotraumatisme
La "névrose traumatique" apparaît dans les textes à l'occasion des premiers grands accidents du début de l'ère industrielle. Les études cliniques en matière de psychiatrie de catastrophe étaient rares.
Les contours d'une psychiatrie de catastrophe nous sont en réalité suggérés rétrospectivement par les deux guerres mondiales et en particulier par la deuxième guerre mondiale. La théorie du désastre est une photographie en négatif! Elle est en sommes fabriquée à partir d'une vision en creux. Nous nous désespérons de n'avoir rien su faire des victimes survivantes de la deuxième guerre mondiale qui se sont lamentablement dispersées dans tout l'espace européen. Les séquelles des effroyables traumatismes collectifs se sont étalées sous nos yeux pendant 60 ans sans que les récits et les structures de réparation n'aient été à la hauteur du désastre.
Puissions-nous ne pas répéter les mêmes erreurs!
L'attentat du Grand Véfour et puis le 25 juillet 1995 la bombe dans le métro à la station Saint-Michel à Paris ont servi de déclencheur. Les Cellules d'Urgences Médico-Psychologiques (CUMP) pour les victimes d'attentats, de catastrophes et d'accidents collectifs sont créées en 1995.
Les conflits armés du siècle ont plus précisément façonné les concepts de symptômes séquellaires et de psychotraumatisme. Les cliniciens à partir de là se sont attachés à définir les contours d'une psychiatrie de catastrophe. Quant aux barèmes d'expertise, art difficile, la grande référence historique est le Code des pensions militaires de 1919. Mais les études théoriques les plus sérieuses ont été élaborées aux Etats-Unis dans les suites du conflit du Vietnam. Les psychiatres européens n'ont pas su donner une importance substantielle à ces catégories nosologiques. Songeons par exemple que nous n'avons pas su définir des catégories nosologiques pertinentes des séquelles de la Shoah!
Il manque en somme aujourd'hui encore un corpus séméiologique et nosographique du psychotraumatisme massif. Les raisons fondamentales sont certainement imputables à une conviction irénique qu'une "douce et vieille Europe" échapperait aux agressions de masse! Il en résulte chez nous une sorte de paresse intellectuelle extrêmement critiquable. Nous devons développer un système de santé capable d'accroître la culture de l'autodéfense face aux traumatismes et de répondre aux désastres. Ainsi pourrons-nous mieux aider les victimes, encadrer les sauveteurs et restreindre les séquelles psychotraumatiques.
2.2 Histoire antique de la souffrance: les tables législatives
Et cependant ces sortes de souffrances ont nourri les récits des hommes depuis la plus haute antiquité.
Les séquelles médico-légales sont reconnues depuis la plus haute antiquité. Voyez ce que nous dit le code Hammourabi de Babylone en 1792 avant notre ère dans la très ancienne langue mésopotamienne akkadienne et sa fascinante écriture cunéiforme: "S'il a crevé l'œil d'un employé simple muškênum il paiera une mine d'argent, s'il a crevé l'œil de l’esclave ou wardum de l’employé ou awêlum ou bien brisé un os du wardum d'un awêlum, il paiera la moitié de ce prix. Si d'autre part quelqu’un a frappé quelque femme libre et qu'il a expulsé le fruit de son sein, il pèsera 10 sicles d'argent pour le fruit de son sein. Si cette femme est morte on tuera sa fille". Les séquelles psychotraumatiques requièrent une réparation financière mais aussi une justice vengeresse. Cette revendication antique possède encore de nos jours une grande valeur.
2.3 Histoire moderne de la souffrance: l'exemple des Etats-Unis.
Le soin définit l'entité nosologique! Cette assertion mériterait à elle seule de réfléchir à l'heuristique en psychiatrie. De la même façon que la pratique psychanalytique a contribué à circonscrire le monde de la pathologie de la névrose. Il suffit de réfléchir à la question de la névrose de déréalisation. De la même façon une organisation des soins des catastrophes a permis de mieux comprendre les psychotraumatismes.
Quatre mille ans plus tard les Etats-Unis nous donnent l'exemple des "Veteran Centers", centres de traitement des séquelles situés dans des lieux proches des victimes. L'idée est née après la deuxième guerre mondiale et la réalisation en est effective sur une grande d’échelle à partir de 1979.
Le sens général de cette évolution nous indique ceci: les grands traumatismes au cours de l'histoire accèdent progressivement à la dignité du récit. Cette évolution est éclairée par les textes de Ricoeur pour qui la narration fait exister.
2.4 Les lois et la souffrance
L'état, les magistrats et les médecins ont adopté une posture quasiment institutionnelle face aux désastres. Si les institutions ont toujours su trouver une posture à propos de l'expertise médico-légale des accidents individuels l'ont-elles fait de façon satisfaisante dans les cas de catastrophes collectives? Quoi qu'il en soit l'Etat c'est à dire les institutions ont désormais compris qu'elles devaient porter assistance aux désastres collectifs. Mieux vaut tard que jamais!
Pourquoi l'oeuvre bénéfique apparaît-elle plus substantielle dans des pays éloignés des zones de catastrophe? Je veux bien entendu parler des Etats-Unis. Faut-il qu'une nation soit loin du théâtre des douleurs pour mieux panser les plaies? Ceci n'est pas seulement une question de moyens mais une question de volonté. Faut-il qu'une nation soit pragmatique, dynamique et optimiste pour être mieux armée et pour élaborer une doctrine de soins et de réparations?
Le sens général de cette évolution est donc l'irruption des grands traumatismes dans le champ des travaux médicaux. De cette promotion résulte non seulement des récits mais aussi des méthodes d'évaluation des séquelles psychotraumatiques.
3.0 La clinique des catastrophes
Les troubles psychiques provoqués par les désastres induisent bien entendu essentiellement des troubles individuels. Mais il est légitime d'examiner l'impact collectif qu'on a coutume de nommer "psychoses collectives".
3.1 Le corpus classique de la psychotraumatologie
Henri Ey dans ses causeries et dans son traité, le célèbre "Ey Bernard Brisset", décrit ainsi le champ des "réactions névrotiques aiguës ou psychonévroses émotionnelles". Tour à tour désignées comme des psychoses aiguës, des névroses d'angoisse aiguës, des réactions émotionnelles pathologiques, la névrose traumatique et enfin "Shreckneurosen". Le rapport avec la guerre est très présent dans le concept de névroses de guerre ou du combat et celui de névroses traumatiques aiguës. Le type clinique le plus classique est en effet celui de la névrose de guerre ou névrose panique des combats. En fait il s'agissait d'une classique urgence psychiatrique. La séméiologie était composée d'une crise d'angoisse aiguë, de crises confuso-anxieuses, comme par exemple une crise stuporeuse avec paralysie, de crises hystéro-anxieuses et de crise d'angoisse psycho-somatique, comme par exemple l’apparition d’un équivalent de l’angor pectoris.
L'évolution des troubles nous intéresse beaucoup plus en 2005 parce que les modalités de la réparation médico-légale sont beaucoup plus importantes à définir que jadis. A la guérison sans suite s'opposent les psychoses confusionnelles, la mélancolie, parfois dans sa forme mixte, et, très rarement, une schizophrénie. On observe surtout des névroses: hystériques et des troubles psychosomatiques. Notons que le chapitre des catastrophes collectives occupe seulement 11 lignes dans l'oeuvre majeure du Maître! Quant à sa bibliographie elle est également très limitée. L'expérience est en somme venue avec Kardiner en 1941! Tandis que les autres auteurs convoqués sont un article de Capgras et Jacquelin en 1917, un livre de Brousseau en 1920, bien entendu le Kardiner de "The Traumatic Neuroses" à New York en 1941 et enfin un article de Sutter, Stern et Susini en 1947.
Des définitions de la névrose traumatique.
Le concept de traumatisme psychique a beaucoup évolué au cours du 20ème siècle. J’ai essayé d’apporter un effort sémantique au débat dans un glossaire récent.
Traumatisme psychique et trauma. Evénement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l'incapacité où se trouve le sujet d'y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu'il provoque dans l'organisation psychique. En termes économiques, l'afflux des excitations dépasse la capacité de les maîtriser et de les élaborer psychiquement. Le terme est emprunté à la chirurgie: le traumatisme est une atteinte intense et soudaine des parties molles et des os. Le concept de trauma, par contre, est d'usage purement psychologique.
En psychanalyse, la notion de traumatisme implique le jeune âge, la période prégénitale, l'importance relative qu'il convient d'examiner du point de vue de l'intensité des excitations, une incapacité d'élaborer donc de liquider ou de réaménager. L'étiologie de la névrose est rapportée au traumatisme de l'enfance entre 1890 et 1897. Puis cette conception passe au second plan. Il devient donc simplement un événement daté rétroactivement du fait des élaborations en cours d'analyse. C'est en outre, un corps étranger persistant. L'importance des conflits défensifs vient ruiner le concept de traumatisme psychique comme inducteur de névrose. Il devient un facteur de renforcement complémentaire.
En psychiatrie classique, le traumatisme psychique est un événement considérable capable de déclencher ultérieurement une névrose traumatique.
Névrose traumatique ou post-traumatique. Cet état se constitue à l'occasion ou à la suite de traumatismes brutaux. Les névroses de guerre, la névrose panique des combats en sont les formes les plus spectaculaires.
Etat de stress post-traumatique. Le concept a pris légitimement une importance de plus en plus grande avec le DSM. A la suite d'un événement hors du commun, reviviscence constante de l'événement traumatique par la présence d'au moins une des manifestations qui vont des souvenirs pénibles au sentiment intense de détresse devant des événements comparables avec un évitement permanent des stimuli. Symptômes traduisant une hyperactivité neurovégétative.
Il est également utile de préciser des notions qui auront de l'importance au stade des évaluations des IPP comme par exemple la "sinistrose de Brissaud" qui est en somme l’état mental de celui qui n'admet pas la consolidation des séquelles post-traumatiques. L’organisation des troubles psychiques post-traumatiques est souvent quasi psychotique: idées de préjudice et de revendication. L'état se développe principalement à la faveur des expertises.
3.2 La clinique des catastrophes.
Comment nos collègues des CUMP résument-ils la nature de la séquence typique d'événements? L'événement traumatogène, l'importance du traumatisme, l'effroi et enfin la rencontre avec le réel de la mort et du néant
3.2 Les propositions cliniques des psychotraumatologues
Les auteurs veulent insister sur la distinction entre traumatisme psychique et le stress, réaction biologique spécifique décrite par Selye.
Les critères sont: 1) L'événement traumatogène exceptionnel, grave, violent, soudain, brutal, horrible et parfois même accompagné de mort réelle de personnes ou encore le plus souvent du risque réel et objectif de mort du sujet lui-même, déterminant la menace vitale. Mais, nous dit l'auteur, le vécu propre du sujet pendant cet événement importe le plus: ce vécu subjectif est toujours nécessaire et peut être suffisant pour le déclenchement du traumatisme psychique. La catastrophe est intime, singulière et incommensurable avec celle qui touche l'individu moyen". Son évaluation chiffrée n'a rigoureusement aucun sens - 2) L'angoisse. La symptomatologie répétitive comme les cauchemars obsédants et répétitifs auraient pour but la maîtrise rétroactive de l'excitation sous développement d'angoisse. 3) L'effroi.
Une bonne expression phénoménologique de l'effet psychotraumatique nous dit ceci: "L'absence d'anticipation du fait de la brutalité même de l'accident, un état de détresse chez la plupart des gens. Le mourir même n'ayant pas eu de traduction concrète -et de toute façon ceci est irreprésentable- est représenté par des substituts et par la pétrification de l'attente des choses futures. Le sujet perçoit un temps incommunicable, immobile et indicible."
Pour F. Lebigot, ce n'est pas l'angoisse qui surgira de l'effraction mais le degré zéro de l'affect, ce néant de l'originaire qui caractérise l'effroi. Les sujets quand ils se souviennent de ce très bref instant du trauma, parlent de "panne", de "blanc", "d'absolu silence", de "vide", etc. L'angoisse, elle, surgira après passé le moment d'effroi et l'image incrustée constitue une menace, mais une menace interne de néantisation.
Le Dr Crocq avec un rare bonheur de l'expression, nous parle de la confrontation soudaine avec le réel de la mort, notre propre mort ou la mort d'autrui, sans médiation du système signifiant qui dans la vie courante préserve le sujet de ce contact brut. Le Dr Crocq dans ce texte trouve réellement une hauteur quasiment métaphysique: "Le plus profond de cette expérience est l'aperception du néant, de ce néant redouté et chaque jour nié passionnément car l'affirmation de toute existence et la foi en la vie se fondent sur la négation exorciste du néant, d'un néant dont chacun a l'entière certitude sans en avoir la connaissance. Il s'agit alors d'un court-circuit dans le signifiant, avec irruption d'une expérience de mort, de néant et de non-sens dans une existence jusqu'alors sensée. Face à la révélation de la mort vraie, le sujet est démuni de signifiants, de "représentation", pour la bonne raison que cette mort ne lui a jamais été "présentée" préalablement; et les substituts forgés par la conscience et la culture, tels que le cadavre et les rites mortuaires, ne peuvent expliquer ni maîtriser cette confrontation. D'où l'expérience fondamentale d'effroi, pressentiment de "la mort de soi comme vérité ultime" et "perte de soi-même en totalité", et les symptômes de la névrose traumatique qui tendent vainement à faire barrage au processus de mortification (par exemple l'inhibition, la dissociation et le repli sur soi) ou d'inscrire la scène traumatisante (par exemple les répétitions), ne font qu'affirmer la puissance de l'effroi, et sa persistance comme destinée." Mais qui est Crocq? Médecin militaire puis professeur associé à l’Université René Descartes (Paris V), le Médecin Général Louis Crocq a étudié les névroses de guerre dès 1952 lors de sa thèse de médecine. Il est réellement devenu l’un des rares spécialistes des paniques collectives et des réactions des victimes lors des catastrophes. Or ce problème me paraît extrêmement important mais il est aussi tout à fait négligé. Il met en place le dispositif des Cellules d’Urgence Médico-Psychologiques en 1995. Enfin il publie en 1999 un gros ouvrage: "Les Traumatismes psychiques de Guerre". L'ensemble des travaux du Dr Crocq est sans doute un signe pertinent de l'entrée de la psychiatrie dans le monde du désastre.
3.3 Clinique psychanalytique
Dans les névroses traumatiques, le moi des patients est appauvri, diminué et assailli par l'immensité des souvenirs traumatisants qui continuent de fonctionner comme des objets réels. La position psychanalytique traditionnelle est précisément commentée par Otto Fenichel: "Le Moi est trop apeuré lorsque le malade ne peut supporter d'évoquer l'évènement traumatique parce que cela entraînerait une véritable répétition du caractère traumatique de l'expérience. Déterminer le dosage relatif adéquat de catharsis et de réassurance est la tache principale de la thérapie". Cet auteur exprime une vérité aussi juste aujourd'hui qu'hier: la plupart de ces névroses traumatiques graves ne sont pas des indications de thérapie analytique formelle. Les analystes qui proposent une telle prise en charge se laissent tout simplement glisser sur la pente naturelle et automatique de leur formation. L'aide destinée à ces patients très particuliers et très vulnérables requiert une formation polyvalente dans le champ de la psychopathologie. L'affaiblissement du Moi résulte d'une insuffisance ou plus précisément d'un débordement durable du système pare-excitation ou du système de l'enveloppe psychique. Notons encore que dans les processus psychothérapiques de cette catégorie de victimes se développe souvent un transfert négatif qu'il faut analyser. Les relations objectales en général et la relation transférentielle en particulier sont colorées par une représentation de l'analyste comme celui d'un bourreau possible. Les liens affectueux d'une façon générale oscillent brutalement entre ces deux pôles extrêmes et contrastés: la dépendance affective et la situation de victime. Il n'y a pas d'intermédiation de la relation.
3.4 Existe-t-il une désorganisation du corps social?
La doctrine traditionnelle consiste à affirmer que des catastrophes accidentelles de grande amplitude sont susceptibles de bouleverser le corps social. Il en est de même lorsque les attentats massifs se répètent jusqu'à paralyser l'initiative des collectivités. Il existe en réalité une grande propension des collectivités à se débarrasser des fardeaux trop lourds. Le corps social, si on entend par ce terme la société globale des citoyens d'un pays, s'imagine instinctivement à l'abri des agressions de masse. Le sentiment d'être par bonheur passé au travers des gouttes est très fréquent. Une enquête récente nous dit que le public français apprend à vivre avec le risque terroriste. Quand en juillet 2005, 58% des internautes estiment qu'il y a de grands risques d'attentats terroristes en France, seuls 28% d'entre eux se disent inquiets face à la menace. Ce public estime en effet que sont visés de préférence les pays ayant des troupes en Afghanistan et en Iraq. Or cette thèse est parfaitement fausse. La leçon qu’il faut tirer de cette étude est celle-ci: on donne instinctivement un sens presque symbolique ou même magique à l’atteinte dolosive d'autrui. L'état d'esprit de populations peu solidaires est le même à l'occasion d'une catastrophe naturelle. Il est aisé en effet d'imaginer qu'une région est frappée d'inondation parce qu'elle n'a pas respecté la nature. C'est une pente naturelle de l'esprit!
L'impact porte donc selon moi sur une partie du socius, une communauté de souffrants, qui va dans le meilleur des cas ensuite se constituer en association porteuse d'un discours signifiant.
4.0 Les structures d'assistance
4.1 Les méthodes d'assistance
Les soins immédiats concernent les victimes, blessés physiques ou bien atteints psychiquement et bien entendu dans un second temps le personnel qui leur est venu en aide.
Le credo des organismes de sauvetage est l'abréaction: l'effet conjugué de l'abréaction précoce et d'une orientation thérapeutique rapide et spécialisée lors de troubles psychiques différés. C'est le point de vue généralement admis afin de préserver le pronostic.
La méthode actuellement préconisée est le defusing et le debriefing.
Je définissais ainsi le debriefing en 1999 dans le "Glossaire Psychiatrique": Technique de mise à plat des conflits intrapsychiques résultant de traumatismes importants. Le debriefing est utilisé par les sapeurs-pompiers et par les cellules de soin après attentats. Le terme trouve son origine dans une méthode traditionnelle dans les services de contre-espionnage. Le terme équivalent en français est "bilan des troubles et des séquelles".
Le debriefing est un terme anglais polysémique et dans l'esprit d'un public non prévenu on risque de confondre l'action des services de contre-espionnage et l'assistance aux blessés. J'avais donc proposé jadis d'autres termes mieux compris du public de langue française: voyez en la description détaillée en annexe. Je constate avec le temps que le terme anglais est mieux reçu et qu'il conserve donc toute sa pertinence.
Le defusing ou déchoquage psychologique est une première approche psychologique.
Le debriefing correspond au bilan psychologique d'événement un peu plus à distance de l'événement traumatisant. Le principe consiste en une verbalisation de l'expérience émotionnelle. Il est important de parler des symptômes actuels mais aussi de ceux qui pourraient survenir ultérieurement. Les sujets les plus fragiles devraient être suivis de très près.
Les sauveteurs ont et auront besoin de la même attention. La proportion des PTSD chez les sauveteurs a été étudiée avec soin par nos collègues américains. Je l'évalue à 3,2%.
Il existe bien entendu des variantes culturelles du debriefing:
- l'orientation américaine utilise le récit factuel pour permettre l'accès au registre émotionnel dans une forme d'expression immédiate,
- la tendance française consiste à privilégier l'expression des fantasmes et des émotions
- en pratique tout dépens des manuels d'applications, des textes et des outils que détiennent les équipes d'intervention
4.2 Lois et mesures d'assistance
Le dispositif de soins spécifiques se met progressivement en place pour répondre à la vague d'attentats en France entre 1988-1995. Madame Rudetzki, présidente de l'Association des Victimes d'Attentats, après l'attentat du Grand Véfour, avait amèrement déclaré que les murs étaient réparés en quelques jours tandis que les corps et les esprits ne l'étaient pas avant des années. Elle avait dénoncé en outre les graves carences de l'expertise psychiatrique. Pour répondre à cette plainte légitime des lois de réparation des dommages subis par les victimes d'infractions ou d'attentats ont été publiées. La loi de mars 1977 a été modifiée le 2.2.81 et le 8.7.83 mais notons surtout les textes concernant le terrorisme du 30.1.86 et ses applications du 15.10.86 et du 18.3.88. La création des CUMP est donc relativement récente. La première CUMP est créée en 1995 dans les suites de l'attentat de Saint-Michel à Paris.
Principes des mesures d'assistance
La doctrine se résumait ainsi: le soutien psychologique précoce et le suivi des blessés psychiques, un dispositif permettant cette prise en charge sur le terrain, à moyen et à long terme, la formation des personnels à tous les niveaux, l’extension du dispositif sur tout le territoire national et un dispositif permanent d'échange d'idées avec les autorités administratives, judiciaires et le réseau associatif.
Que fait l'arrêté du 28 mai 1997? Il crée un Comité National de l'Urgence médico-psychologique en cas de catastrophe avec un réseau national et sept cellules interrégionales. Elles ont à leur tête un psychiatre coordonnateur régional, un psychologue et un secrétariat à mi-temps. Le réseau départemental est coordonné par un psychiatre qui établit une liste de volontaires.
Trois buts: prévenir les séquelles psychiques du stress, éviter l'afflux des familles, faciliter l'évacuation des blessés
Trois cadres: les impliqués directs -blessés légers ou les indemnes d'atteintes physiques-, les familles en attente, l'accueil téléphonique.
Trois principes: sécuriser l'accueil, verbalisation des émotions, assumer l'après coup
La France se dote donc en 1995 d'un dispositif de secours dédié aux besoins psychologiques des victimes de catastrophe, d'attentats et d'accidents collectifs nommé Cellules d'Urgence Médico-Psychologique. Au lendemain de l'attentat terroriste du 25 juillet 1995 à la station Saint-Michel à Paris l'Etat confie au Secrétaire d'État Emmanuelli -le Dr Emmanueli- la mission de constituer un organisme capable d'apporter une réponse aux "blessés psychiques". De là une "cellule d'urgence médico-psychologique ou CUMP" pour les victimes d'attentats et de catastrophes. Les cinq principaux axes étaient les suivants:
1) Définir une doctrine concernant le soutien psychologique précoce et le suivi des blessés psychiques.
2) Mettre en place le plus rapidement possible un dispositif étagé pour la prise en charge de ces blessés psychiques (sur le terrain, dans les structures d'évacuation et dans les consultations spécialisées pour les séquelles).
3) Assurer la formation des personnels à tous les niveaux (psychiatres, psychologues, infirmiers et autres personnels d'intervention).
4) Prévoir l'extension du dispositif à l'ensemble du territoire national et le cas échéant, à l'étranger (aide aux ressortissants français et demandes de gouvernements étrangers).
5) Établir et maintenir les contacts nécessaires avec les autorités administratives et judiciaires concernées, les universités et le réseau associatif.
La perspective d'attentats terroristes en série fut d'emblée au coeur des projets des initiateurs. La cellule mit immédiatement sur pied un dispositif provisoire pour la région parisienne, fonctionnant sur le mode d'un tour d'astreinte hebdomadaire de trois personnels de première ligne (un psychiatre, un psychologue, et un infirmier) joignables 24 heures sur 24.
Il n'est pas du tout certain que cette sorte de bénéfique mobilisation des esprits ait perduré jusqu'en 2005! Il n'est pas du tout certain que la procédure soit proportionnelle à la gravité des menaces potentielles. Une agression terroriste islamiste pourrait fort bien mettre en jeu des substances biologiques, des gaz toxiques ou bien encore des déchets de substances radioactives dans le métro. Les populations concernées et les réactions d'effroi seraient alors considérables.
Lois instituant les CUMP
Les réunions de concertation se sont tenues au Secrétariat d'État à la Santé de septembre 1996 à mai 1997: arrêté du 29 mai 97, portant création d'un "comité national de l'urgence médico-psychologique en cas de catastrophes" puis circulaire DH/EO4-DGS/SQ2 n° 97/383 du 28 mai 1997, relative à la création d'un réseau national de prise en charge de l'urgence médico-psychologique en cas de catastrophes
Ce dispositif est conçu comme un "réseau de volontaires", devant assurer les actions d'urgence médico-psychologique sur l'ensemble du territoire national et parfois à l'étranger. Mais ce dispositif tant espéré: en a-t-on vu vraiment la couleur?
Les psychiatres coordonnateurs des cellules sont chargés de constituer, avec le Préfet, une liste départementale de psychiatres, de psychologues et d'infirmiers ayant une expérience professionnelle en psychiatrie et susceptibles d'intervenir en cas d'urgence médico-psychologique. La régulation médicale du SAMU et les psychiatres responsables se font communiquer les coordonnées professionnelles et personnelles de chaque volontaire. Les candidats sont recrutés en priorité parmi le personnel hospitalier. En cas d'événements majeurs justifiant l'intervention de ces équipes, elles sont à la demande du Préfet, mobilisées par le Directeur du SAMU départemental, en liaison avec le psychiatre référent dans le département.
Le mode de déclenchement
- Sous le parrainage des SAMU est défini un schéma type d'intervention d'urgence médico-psychologique à savoir des modalités de déclenchement et d'engagement des volontaires. Les conditions figurent aussi dans le plan rouge départemental
C'est la régulation médicale du SAMU qui déclenche l'intervention des volontaires. Les membres volontaires doivent être contactés rapidement et intervenir dans un délai compatible avec l'urgence de la situation.
L'envoi de renforts est prévu. Le psychiatre coordinateur de cellule doit organiser si nécessaire une consultation pour le suivi des victimes voire du personnel impliqué dans l'opération de secours.
A l'occasion d'un accident catastrophique le médecin de SAMU arrivé sur le terrain évalue les besoins médicaux et en même temps les premiers besoins en moyens psychiques. C'est donc ce médecin qui requiert le psychiatre référent de la cellule ou psychiatre, psychologue et infirmier d'astreinte. Ces trois personnels auront des équipements marqués "SAMU-PSY" et des trousses d'urgence ainsi que des notes d'information destinées aux victimes et aux familles.
Le PUMP et le PMA
La synthèse est assurée par le chef de l'équipe SAMU qui détermine le "poste d'urgence médico-psychologique" (PUMP) à proximité du "poste médical avancé" (PMA). Dans ce PUMP, les trois personnels médico-psychiatriques examinent tous les blessés psychiques qui leur sont adressés par le PMA ou qui se présentent spontanément. La mobilité est possible. Cette procédure en somme, celle de 1ère et 2ème ligne, ressemble beaucoup à l'organisation médicale militaire.
Si la situation l'exige, une équipe d'astreinte de deuxième ligne peut être déclenchée, d'autres personnels de réserve, psychiatres ou psychologues d'enfants le cas échéant, demeurant également susceptible d'être sollicité en fonction du type ou du dimensionnement de l'événement.
Le tri et la fiche d'évacuation
Ce chapitre souligne l'importance de la fiche d'évacuation et surtout de la note d'information. Je crois beaucoup à l'importance de ces notes. L'activité de "triage-repérage" consiste à repérer les sujets les plus sévèrement atteints pour les évacuer vers les hôpitaux. Il s'agit aussi de poser des jalons pour aider les personnes qui regagnent le domicile. L'équipe psychiatrique remet à tout blessé psychique et à sa famille une note d'information expliquant la nature psychique et psychotraumatique et la normalité des symptômes de stress immédiat. On les enjoint de consulter auprès de centres spécialisés en psycho-traumatologie ou, à la rigueur, auprès de leur psychiatre ou généraliste personnel. Les données cliniques et thérapeutiques consignées sur la fiche d'évacuation assurent la continuité de la prise en charge.
Dans les catastrophes de grande ampleur, les plans de secours prévoient l'installation d'un centre d'accueil des victimes avec l'aide de diverses associations de secours. Les conseils juridiques auront eux aussi une grande importance.
Les directeurs d'hôpitaux qui reçoivent les blessés évacués ont consigne de prévenir le psychiatre de l'établissement afin qu'il examine tous les blessés, le plus rapidement possible, en petits groupes de debriefing si nécessaire. Le psychiatre de l'établissement s'aidera des données mentionnées sur les fiches d'évacuation. Mais un question se pose: la formation des psychiatres des hôpitaux généraux à la psychotraumatologie est-elle suffisante?
Dans les jours et les semaines qui suivent la catastrophe les victimes peuvent présenter des troubles psychiques consistant soit en la persistance des symptômes du choc émotionnel ou queue de stress soit en prémices d'un syndrome psychotraumatique. Les auteurs proposent de réduire les symptômes de queue de stress avec des anxiolytiques ou des hypnotiques puis d'aider le patient à faire le point sur l'événement. La phase de l'après-coup doit permettre de détecter une sémiologie faite de rumination torpide, un phase de latence d'une névrose traumatique.
Conclusion à propos des CUMP
Les promoteurs du système des CUMP souhaitaient une synthèse entre les méthodes de l'urgence psychiatrique, de la médecine de catastrophe et de la psychopathologie. Ont-ils réussi l'oeuvre de synthèse? Je ne le crois pas mais cela est une autre affaire: l'avenir nous le dira. La nouveauté en tous cas consiste à réaliser une sorte de sectorisation de la catastrophe. Est-ce que l'épreuve du temps confirmera les espoirs des "catastrophistes"?
4.3 La méthode américaine des "Vet Centers"
Ces centres de consultation aux Etats-Unis sont implantés dans des lieux publics très fréquentés. Ils constituent désormais un modèle d'assistance dans le monde entier. Ils étaient destinés aux vétérans de la guerre du Vietnam (1964-1973) souffrant de troubles psychiques et qui souhaitant se faire aider mais sans excès de médicalisation. Le succès fut immédiat. On compte aujourd´hui 200 centres répartis sur le territoire américain tout entier, accessibles aux vétérans comme à leur famille. Des psychiatres et psychologues autant que des assistants sociaux, des conseillers d'orientation professionnelle et des juristes y travaillent très activement. Le gouvernement américain estime qu´entre 560.000 et 800.000 anciens du Vietnam, soit un sur quatre, souffrent du "post traumatic stress disorder" ou PTSD ou encore SSPT qui est en somme l'équivalent de la “névrose traumatique”.
5.0 Les traitements
Modalités du traitement
Le travail des personnels d'aide psychologique sur le terrain consiste à prodiguer des soins médico-psychologiques d'urgence à tous les blessés psychiques qui en ont besoin: administration de médications psychotropes pour réduire les symptômes aigus d'anxiété, de prostration ou d'agitation prescrites par le médecin et effectuées par lui-même ou par l'infirmier; entretiens psychothérapeutiques d'urgence avec la victime centrés sur la verbalisation inaugurale de l'émotion pour réduire les effets néfastes du stress traumatique et permettre prudemment l'inscription de l'événement dans la vie du sujet. Cette "psychothérapie d'urgence" peut être effectuée individuellement ou par petits groupes de moins de dix victimes, en séance de "déchoquage immédiat" ou defusing.
Defusing et debriefing
Le defusing est un prélude au debriefing.
Le debriefing pouvant se traduire par l'expression "bilan psychologique d'événement", le principe de base étant le suivant: inciter à la verbalisation de l'expérience émotionnelle, pour susciter un processus de maîtrise rétrospective. Il est centré sur un dialogue, dans lequel le thérapeute dispense des paroles rassurantes et apaisantes au patient invité à exprimer d'emblée ce qu'il ressent et ce qu'il a ressenti.
Commentaire
Nous nous situons dans le champ d'une variante des processus psychothérapiques. L'idée des initiateurs de ces techniques est celle-ci: ils estiment que la verbalisation peut avoir un effet bénéfique et que des paroles rassurantes sont nécessaires pour le bien de la victime. Or cette méthode est précisément différente de la psychothérapie analytique et de la psychanalyse. L'expression des fantasmes des patients n'est pas un principe de libération: elle permet essentiellement le processus interprétatif.
Cette méthode utile aux soldats extraits de la ligne de front n'est peut-être pas aussi efficace en faveur de civils assommés et paralysés par un attentat. Ceux-ci ont très souvent des réactions paradoxales. Par exemple donnent-ils souvent l'impression d'être détentrices d'un secret incommunicable. Le debriefing requiert une étude approfondie à propos de la qualité de ses résultats. Quelques articles très critiques ont été publiés à ce sujet. Ainsi redoute-t-on une intrusion pleine de bonne volonté mais dommageable pour certaines victimes qui en somme vivraient un traumatisme de plus. La négociation psychique avec la scène traumatique est un objet d'étude scientifique qui mériterait d'être approfondi. Le traitement des survivants de la Shoah nous a apporté quelques leçons. Nous avions constaté que la psychanalyse n'était généralement pas du tout indiquée. D'une façon générale la révélation des secrets n'est pas au fondement des processus psychothérapiques et psychanalytiques classiques. On souhaite analyser non pas le secret mais précisément pourquoi une telle révélation gênerait le patient. On dit cela aux patients détenteurs de secrets pour qui l'analyse des symptômes est plus importante que la protection du secret. Or il est impossible d'adopter cette technique de vérité de la cure à des victimes de catastrophes considérables.
Retour sur le defusing et le debriefing.
La doctrine en usage est donc la recherche d'une catharsis dans le defusing. Puis ensuite conseille-t-on de pratiquer un debriefing en petits groupes de 5 à 12 rescapés. Les promoteurs souhaitent que cette procédure soit assurée par deux professionnels formés et bénéficiant en outre d'une expérience de psychothérapeute. Le principe est de faire parler spontanément chaque rescapé de ce qu'il a ressenti, plutôt que de lui faire réciter ce qu'il a vu, cette énonciation ou cette élaboration ayant pour effet de lui procurer un soulagement cathartique, de l'aider à trouver un sens à l'événement. Nous avons vu cette thèse des psychotraumatologues: il est primordial que le patient puisse donner lui-même un sens à une expérience qui va s'avérer traumatique si elle a représenté une effraction dans ses défenses psychiques associée à une absence de signification.
Le debriefing a encore d'autres objectifs par exemple de replacer la victime dans un espace et un temps normal en particulier quand il entend les autres victimes faire état des mêmes symptômes. Il s'agit aussi de résoudre les éventuelles tensions de groupe, de l'aider à atténuer son sentiment d'impuissance et de culpabilité, de l'inciter à mettre un point final à l'événement. Il est important à ce stade de repérer les sujets fragiles qui auront besoin d'un soutien personnel.
Le debriefing des équipes de sauveteurs et des soignants est assuré quelques jours plus tard par des membres de la cellule qui n'ont pas participé à l'intervention sur le terrain.
De la nécessaire spécialisation en PTSD
Le psychiatre référent doit aussi assurer dans l'établissement où il pratique, une consultation spécialisée en psychotraumatologie Il semble que nombre de syndromes psychotraumatiques, mal étiquetés, soient méconnus et donc insuffisamment traités.
L'école française: du traitement par la recherche d'un "sens"
Beaucoup d'auteurs pensent que la névrose traumatique repose sur le travail psychothérapeutique de soutien ou bien psychanalytique. L'idée des auteurs est celle-ci: le patient doit non seulement "liquider" son expérience traumatique, dans une parole cathartique, mais encore doit-il trouver un sens personnel à sa mésaventure. Le succès de la démarche psychothérapeutique pour Crocq repose non pas sur l'effet cathartique mais sur une prise de conscience de la signification existentielle que suscite l'expérience traumatique dans la psyché du sujet. C'est ainsi que s'exprime le Dr L.Crocq: la nécessité de trouver un sens au "mythe personnel de l'épreuve traversée". Ce dernier objectif est délicat à atteindre puisque la personne éprouve un besoin profond de s'arrimer à l'image sociale de "victime". Il demande souvent au thérapeute d'effacer l'événement de sa mémoire. L’exemple selon moi le plus émouvant et le plus convainquant de la théorie de Crocq est celui du Cdt Hélie Denoix de Saint Marc comme on peut en découvrir les étapes dans ses mémoires. Résistant très jeune il fut déporté dans des carrières mortelles en Allemagne. De retour du camp il demeure dans les armes comme officier de la Légion étrangère. Le ton de son discours répond à l'exhortation du Dr Crocq. Mais je crois cet exemple assez exceptionnel.
La méthode thérapeutique des psychotraumatologues français est donc développée dans les articles de Barrois et Louis Crocq. Comment proposent-ils de guérir ces «blessés de l’âme»? Les auteurs décrivent des anciens d'Algérie accablés par le poids de la culpabilité ou de la honte? La reconnaissance de leur drame est, disent-ils, une indispensable première étape. Le remplacement de l’expression maintien de l’ordre par le mot guerre il y a deux ans a été un événement important.
On aperçoit deux stratégies d'assistance. Le debriefing d'une part qui n'est pas à proprement parler une technique psychiatrique. La recherche d'une action psychiatrique substantielle d'autre part. La promotion de la seule catharsis en effet ne m'apparaît pas du tout suffisante. La méthode proposée par Crocq est très intéressante. Elle dépasse le debriefing sans être non plus une psychothérapie analytique. La nomination des souffrances ainsi que des étapes symboliques d'une réparation m'apparaissent de la plus haute importance. C'est aussi de cette façon d'ailleurs que j'ai essayé d'aborder la question du traitement des rescapés en 2002 dans Shoah. Les auteurs ajoutent ceci: "L’obtention d’une pension d’invalidité est une autre forme de reconnaissance non négligeable par son effet symbolique autant que financier". L'assistance juridique fait en effet partie du traitement.
L’ouverture de centres de consultations de proximité, à l’image des Veteran Centers américains, moins intimidants que l’hôpital, serait également une avancée majeure. Pourquoi les pouvoirs publics hésitent-ils quant aux Vet Centers à la française. Les bénéficiaires en seraient non seulement les anciens d’Algérie, mais aussi "tous ceux qui en Irak, en Bosnie, au Kosovo ou ailleurs ont eu un jour le malheur de voir leur vie basculer". Qu'est-ce qui freine les pouvoirs publics? Je ne pense pas que les questions de pertinence ou d'utilité du projet soient prioritaires . Non! Je crois que nous somme hélas empêtrés dans un processus quasiment masochiste d'acceptation et d'accoutumance à l'agression. Nous ne croyons plus en nos vertus démocratiques. Nous élaborons de façon diffuse une manière d'idéologie donnant quasiment une valeur morale aux catastrophes! Une nation qui veut aider les victimes des catastrophes doit croire en ses propres vertus!
6.0 Propositions et conclusions
6.1- Nous pouvons enrichir la définition des concepts de PTSD, de névrose traumatique et de psychotraumatisme. Ainsi devons-nous étoffer le corpus clinique et théorique des psychotraumatismes. Quelques essais y contribuent comme ceux de Barrois et Crocq, de Lebigot, de Louville ainsi que les essais de Shamai Davidson.
-Nous pouvons théoriser tout en agissant. Le pragmatisme des Vet Centers a permis d'enrichir la doctrine des PTSD. Il est capital à cet égard de s'inspirer de la stratégie américaine qui possède 20 ans d'avance considérant l'intervalle précis entre les Vet Center en 1975 et les CUMP en 1995.
- Il est difficile de contester l'apport considérable des techniques du defusing et du debriefing. Mais ils ne sont pas dépourvus d'inconvénients. Les nombreuses études sur le debriefing concurrencent ou étouffent les réflexions sur le travail thérapeutique de longue durée.
- L'élaboration des doctrines de traitement au long cours s'inspirera des meilleures thèses. Rappelons celles de Shamai Davidson du Centre psychiatrique Shalvata en Israël.
- La doctrine de Barrois et de Crocq consiste en somme à donner un sens à ce qui n'en avait aucun. L'idée des auteurs est celle-ci: le patient doit non seulement liquider son expérience traumatique dans une parole cathartique mais encore doit-il trouver un sens personnel à sa mésaventure. Le succès de la démarche psychothérapeutique pour Crocq repose sur une prise de conscience de la signification existentielle que suscite l'expérience traumatique dans la psyché du sujet. Et l'auteur d'ajouter: "La nécessité de trouver un sens au mythe personnel de l'épreuve traversée objectif difficile à atteindre puisque la personne éprouve un besoin profond de s'arrimer à l'image sociale de victime".
- Cette doctrine téléologique ma paraît d'un grand intérêt. Elle se situe au carrefour de la psychanalyse et de la phénoménologie. La psychiatrie téléologique a démontré son intérêt dans les cas limites. J'appelle thérapie téléologique toute thérapie qui s'inscrit dans un mouvement de donner un sens. J'appelle téléologie ou téléoanalyse la prise en considération d'un télos c'est-à-dire d'un devenir de l'être psychique dans la démarche thérapeutique.
6.2- Il est juste de conforter le rôle des institutions de l'Etat. Comme la plupart des désastres sont impensables, imprévisibles et incommensurables la population a besoin des fonctions pédagogique, préventive et tutélaire des institutions officielles.
-Susciter des vocations dans la société civile parmi les médecins et les psychiatres institutionnels mais aussi libéraux. Il n'est pas satisfaisant que l'assistance en question soit une spécialité préemptée par des médecins militaires volontaires, des médecins sapeurs-pompiers et les SAMU. Le dispositif de "réseau de volontaires" du CUMP doit être élargi et renforcé. Comment étoffer un tel réseau? En l'ouvrant aux composantes dynamiques et altruistes de la société civile. Un modèle possible est le protocole d'intervention communautaire intégratif du Centre Cohen-Harris. D'une façon générale il faut faire appel au tissu associatif qui est si riche dans les quartiers des grandes villes françaises.
6.3- Contrecarrer la fâcheuse tendance à la déshérence! C'est ainsi qu'on peut qualifier l'omission des soins attendus. Le concept de déshérence en effet ne regarde pas seulement le dessaisissement des biens. Ces soins à terme sont dévolus à l'Etat. Il est juste de le lui rappeler. Aucune victime de désastre ne doit être laissée sur le bord du chemin.
- Dans le même mouvement de l’esprit, à distance des événements on doit conforter l'accès des psychotraumatismes collectifs au rang des récits. Le rôle des récits et des mythes est très important pour contribuer à reconstituer la structure identitaire des victimes.
Tout ceci m'apparaît important du point de vue de l'avenir des psychotraumatismes.
7.0 Conclusion
Je n'imaginais pas au moment d'écrire ce texte que de tragiques événements viendraient confirmer mes convictions. Nous ne sommes pas suffisamment préparés à des désastres éventuels. Nous devons absolument nous préparer avec beaucoup de détermination et de méthode afin de limiter les funestes conséquences qui en découlent.
Des collègues remarquables ont développé l'assistance aux populations victimes de catastrophes. Mais le caractère velléitaire de nos démocraties, je veux parler de la Vieille Europe, représente un handicap redoutable. La mise en place des cellules d'urgence fut certainement une bonne réponse. Mais les principes directeurs de l'assistance apparaissent décevants. Le programme actuel donne priorité à un scénario de l'aide d'urgence. Les victimes des désastres requièrent une sollicitude pendant plusieurs dizaines d'années.
Les mesures d'aide aux victimes doivent enfin être précédées par des stratégies prospectives et préventives. Dans les pays évolués les enfants des écoles maternelles sont entraînés à affronter les risques d'un tremblement de terre. Les pays conscients des risques de catastrophes doivent s'inspirer de cette stratégie préventive.
8.0 BIBLIOGRAPHIE
1) Textes divers sur le "FAMILY DISASTER PLAN et le "KIT" du FDP
2) Chemtob C, Tomas S, Law W, Cremniter D. Postdisaster psychological intervention: A field study of the impact of debriefing on psychological distress. Am J Psychiatr 1997;154:415-417. [PubMed]
3) Cremniter D.,MD, France Mission du SAMU mondial in 1er Congrès international interdisciplinaire sur les urgences (CIIU 2005)
4) Jeffrey Hammond and Jill Brooks? The World Trade Center Attack: Helping the helpers: the role of critical incident stress management, Critical Care 2001, 5:315-317 Published 6.11.2001 (Keywords: critical incident, debriefing, disaster, stress, stress management, post-traumatic stress disorder)
5) Le programme universitaire de Zurich: Zurich
6) DUCROCQ, F.; VAIVA, G.; MOLENDA, S., Le Journal International De Victimologie (1, 1, Octobre 2002 JIDV.COM) Les Cellules d'Urgence Médico-Psychologique en France "A propos d'un dispositif de secours pour les attentats, de catastrophes et d'accidents collectifs" JIDV 2 (janvier-mars 2003)
7) BARROIS C. Les névroses traumatiques. Dunod, 2e éd., 2000
8) Centre COHEN-HARRIS ou Centre d'Intervention pour Trauma et Désastre en Israël, Dr Nathaniel Laor avril 2002
9) DAVIDSON S., The treatment of Holocaust survivors. Spheres of psychotherapeutic activity. 0f press Haïfa, pp. 77-87 (Hebrew) (vide 3, 1967). (Note de l'auteur de cet article: les travaux de Davidson sont, dans ce domaine, d'une importance majeure)
10) DAVIDSON S., "Le syndrome des survivants, revue générale", L'Evolution Psychiatrique (1981 46 2 avril-juin)
11) CROCQ. L - La cellule d'urgence médico-psychologique. Sa création, son organisation, ses interventions - Annales Médico-psychologique, 1998, (156)
12). CROCQ. L - Les traumatismes psychiques de guerres - Odile Jacob, Paris, 1999,
13) CROCQ L., DOUTHEAU S., LOUVILLE P. & CREMNITER D. Psychiatrie de catastrophe. Réactions immédiates et différées, troubles séquellaires. Paniques et psychopathologie collective. EMC (Elsevier Paris), Psychiatrie, 1998, 37-113-D-10, 8P.
14) DE CLERCQ M., LEBIGOT F. Les traumatismes psychiques. Edition Masson, 2001.
15) DUCROCQ F., VAIVA G., KOCHMAN F., PHAM H., JOLY R. & PARQUET Ph-J. Urgences et psychotraumatisme: particularités en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, 1999, 24
16). LEBIGOT F. Intérêt des soins immédiats et post-immédiats dans les traumatismes psychiques. Méd Catastrophes Urg. Collectives, 1999, 2
17) LEBIGOT F. Le debriefing individuel du traumatisé psychique. Ann. Méd. Psychol, 1998
18) LOUVILLE. P- Quelle place pour le psychiatre dans les secours médicaux? - Journal Européen des Urgences (J.E.U.R), 1996 n°4
9.0 Documents annexes
7.1 Annexe: Bureau de l'AFERUP d'après les indications de 2003 (Dr I. FERRAND, Pr M.WALTER , Dr CREMNITER, A.ANDREOLI, T. DELLA, V. DUBOIS, PM.FURLAN, B.GALLAY, L. JEHEL, S.LAMARRE, F. POCHARD, M. ROBIN, M. SASSEVILLE)
9.2 Annexe: étude linguistique du debriefing
Définition du debriefing (Glossaire Psychiatrique du Dr L.F.). Technique de mise à plat des conflits intrapsychiques résultant de traumatismes importants. Le debriefing est utilisé par les sapeurs-pompiers et par les cellules de soin après attentats. Le terme trouve son origine dans le jargon traditionnel des services de contre-espionnage. On propose assez souvent des termes équivalents comme "retour d'expérience" ou "bilan des troubles et des séquelles".
En réalité je n'aime guère le terme debriefing. Je propose une série de termes comme déchiffrage ou mieux déchiffrement, décryptement mieux que décryptage ou encore apostillage, lecture, anamnèse ou catamnèse. Le terme en usage chez les médecins experts est commémoratifs, chez les Sapeurs Pompiers retour d'expérience et chez les documentalistes c'est le collationnement (vérifier l'ordre des éléments d'une liste). La recension est l'inventaire détaillé et critique des événements: "Je transcrivais mes souvenirs d'un dimanche vieux de sept mois; c'était la première fois que je consacrais l'après-midi d'un samedi à cette recension de mes heures passées" (Michel BUTOR L'Emploi du temps).
9.3 Annexe: échanges de courriers
Lettre du 17.10.01 à Monsieur le Docteur Kouchner, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité Administration de la Santé, 8 avenue de Ségur 75007 PARIS Réf: 171001.
Monsieur le Ministre et cher confrère, J'ai eu l'occasion de réfléchir à la question de la prise en charge des urgences psychiatriques en France mais aussi au redoutable problème des paniques appelées communément "psychoses collectives". Quelques progrès avaient été enregistrés depuis peu, en particulier depuis 1995, à la faveur de la mise en place des CUMP ou cellules d'urgence médico-psychologique destinées avant tout à répondre aux besoins des victimes d'attentat. Il manque une réflexion sérieuse à propos d'un risque majeur, les paniques collectives déclenchées tout aussi bien par les attentats, les agressions collectives, les menaces vraies et les menaces fausses et les rumeurs. Il apparaît d'ores et déjà que les dégâts psychiatriques sont plus importants en France que les lésions médico-chirurgicales. On pressent quelle serait la conséquence d'une peur panique déclenchée par la crainte d'une épidémie ou d'un gaz. Je suis certain que les troubles psychiques collectifs seraient aussi redoutables, sinon plus, que les atteintes physiopathologiques
Nous avons besoin de mettre en place:
1) Des réseaux sentinelles psychiatriques
2) Des cellules de prévention et de prise en charge psychiatrique des foules, cellules qui seraient comparables à ce qui existe déjà dans d'autres domaines comme les incendies, les catastrophes naturelles etc.
On pourra se référer à ce qui a déjà été expérimenté dans d'autres pays, à l'occasion des tremblements de terre mais surtout pour prévenir les débordements lors d'épisodes à caractère messianique.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre et cher confrère, l'expression de mes sentiments distingués
Réponse:
Un directeur de cabinet m'a répondu 30 jours plus tard pour m'informer que les responsables avaient réfléchi à cette éventualité et que tout était en place! Je ne citerai pas le nom de ce directeur de cabinet, par esprit de charité, tant il apparaît que tout cela est inconsistant.
En réalité les réalisations concrètes sont le fait d'individus déterminés et courageux comme le Dr Crocq qui aurait fort bien pu se contenter d'une retraite parfaitement méritée. Le Dr Crocq, je m'en souviens, avait lancé l'idée des CUMP en proposant de mettre son expérience militaire à la disposition des pouvoirs publics.
9.4 Le kit du Family Disaster Plan, à Los Angeles par exemple, part du principe suivant: "La stratégie la plus pertinente pour affronter la menace d'un tremblement de terre -"the big one"- consiste à s'y préparer le mieux possible". Ceci me paraît absolument évident (Los Angeles County Mental Health et Southern California Earthquake Preparedness Project).
9.5 Annexe: étude épidémiologique du WTC
Tableau de l'impact psychopathologique du désastre sur les sauveteurs du World Trade Center. Résultat du questionnaire élaboré auprès des sauveteurs et des volontaires du centre de secours du World Trade Center. Les réponses sont ventilées par catégories nosologiques (New-York City: July 16-December 2002)
Catégories Nombre (%)
Evaluations mentales traditionnelles 492 (43.2)
Evaluation du risque de suicide 92 (8.0)
Total échantillon 1138 (100.0)
"General Health Questionnaire-28 (GHQ)"
Symptômes somatiques, anxiété et insomnie, inadaptation sociale ou dépression sévère 500 (43.9)
Post Traumatic Stress Disorder (PTSD)
Symptom Check List (PCL) 224 (19.7)
PTSD algorithme des symptômes 174 (15.3)
Echelle de Sheehan 146 (12.8)
"Patient Health Questionnaire (PHQ)"
"Attaque de panique" 66 (5.6)
Anxiété 67 (5.9)
Dépression sévère 64 (5.6)
Problèmes conjugaux 52 (4.5)
Problèmes avec les enfants 15 (1.3)
Problèmes au travail 155 (13.5)
Problèmes dans la vie sociale 175 (15.3)
Problèmes à la maison 149 (12.9)
Proportion de personnes ayant reçu des soins psychiatriques 36 (3.2)
9.6 Statistiques de l'exposé: 11 pages, 7725 mots et enfin 581 lignes
Dr Fineltain Ludwig
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Expert près le TASS
PARIS
e-mail: fineltainl@yahoo.fr
Bulletin de psychiatrie
http://www.bulletindepsychiatrie.com