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Edition du 08.08.2003
Mise à jour du 06.09.2003 (9ème version)
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AUX SOURCES DE L'ETHIQUE MEDICALE
"Deux choses, dit-il, remplissent le coeur d'une admiration et d'une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes: le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi".
INTRODUCTION - Pour une propédeutique médicale - CASUISTIQUE - Le poète Artaud - Les psychiatres soviétiques - Absence d'assister - NOTES ET REFERENCES - Résistance Santé Mentale 2000 - Identité, mêmeté et ipséité - Dialogue Ricoeur Pélicier - Mr Benarroyo à Lausanne - Autour de la Déclaration de Madrid - BIBLIOGRAPHIE Les codes de déontologie sont très vite dépassés. Beaucoup de rédacteurs esquivent la question centrale: comment construit-on une réflexion éthique? Cette question requiert un dialogue avec les philosophes. Trois moments nous importent: l'éthique qui énonce les valeurs, la morale qui dit les impératifs et la sagesse pratique qui évalue les possibles. L'éthique repose tout d'abord sur quelques règles de bon sens comme le respect de l'autonomie, l'intérêt bien compris de la personne, le respect de la dignité, le consentement et l'information.
CASUISTIQUE
Les leçons éthiques résultent de l'étude attentive de cas particuliers. Les cas difficiles, nous dit Ricoeur, se situent entre le gris et le gris, entre le mal et le pire. Il faut réfléchir sur des cas particuliers et faire apparaître le côté plausible au sens de ce qui mérite d'être plaidé et applaudi.
Notes, textes et documents
Voici un certain nombre de notes, de textes et de documents qui vont nous aider à approfondir le questionnement éthique Il s'agit du texte de Louzoun, de la causerie de Ricoeur, de l'exposé des doctrines de Lévinas, de la présentation de Benaroyo et de la Déclaration de Madrid.
BIBLIOGRAPHIE
Code de déontologie de 1996 de l'AMC, annoté pour les psychiatres par Grainne Neilson
Dr Ludwig Fineltain
Scapilia
ETHIQUE DE LA RELATION DE SOIN EN PSYCHIATRIE
Le psychiatre offre de bons soins compatibles avec le respect dû aux gens. Il prend en compte la dimension spécifique de la souffrance psychique comme par exemple l'importance des processus inconscients d'une part mais aussi à l'autre extrémité la nécessité parfois de prescrire des traitements sous contrainte. Médecins et spécialistes savent dans la plupart des cas ce qu'ils doivent faire. La clinique et l'excellence de la formation les guident. On n'imagine guère qu'ils aient sans cesse besoin d'être éclairé par un comité d'éthique.
Mais il existe d'autres fois des questions morales extrêmement difficiles à résoudre. Elles peuvent nourrir de vrais contentieux mais aussi de faux débats. Voici quelques unes des nouvelles questions éthiques: le droit d'accès au dossier, les modalités de l'internement etc. L'éthique répond aussi aux aléas de l'histoire. Ainsi par exemple en 1946 la psychothérapie institutionnelle dans l'univers clos de la psychiatrie de service public reconnaissait enfin la personne sous le masque de la psychose. Nous devons aussi étudier la fabrique de nos aveuglements. D'éminents psychiatres à Paris en 1976 regardaient les internements soviétiques arbitraires avec indifférence. Ils ne pouvaient pas admettre que "d'honorables" collègues de Moscou étaient de simples criminels. Ces gens se fréquentaient entre eux et se congratulaient dans des congrès. L'esprit de corporation, dans des esprits simples, peut tout simplement l'emporter sur la morale médicale!
Nous devons encore nous demander comment généralement les profanes se représentent le souci éthique des psychiatres. Je ne parle pas de nos patients mais du public. La psychiatrie a toujours suscité la peur et beaucoup de légendes ont été bâties autour de cette discipline. La maladie mentale en elle-même fait peur. L'histoire des asiles a nourri en province une méfiance instinctive. Des idées reçues circulent encore dans le public. Beaucoup de gens par exemple ne savent pas que la règle du secret médical s'applique aussi entre médecins!
Existe-t-il enfin de grandes questions en suspens? Tentons d'en faire une liste. Les patients ont certes acquis un droit d'accès au dossier. Mais est-ce bien suffisant? Je plaide pour un droit accru à l'information. Tous les patients ont le droit de requérir de nous un avis substantiel et documenté. Tous les traitements doivent être explicités. Ainsi par exemple la question de la délivrance de certificats, de bilans et d'autres documents destinés aux patients ne devrait plus poser problème. Tout ceci paraît assez évident mais en réalité cette précaution n'est presque jamais respectée. Abordons d'autres questions comme par exemple le rôle des associations de patients. Malgré toutes nos préventions celles-ci devraient jouer un rôle accru dans le monde médical.
Enfin, redoutable contentieux, comment poser la question éthique des effets des dogmes et des doctrines psychiatrique sur la vie des patients. Je considère en effet que c'est une grande question. L'influence de la théorie sur la position éthique du psychiatre et les répercussions sur les soins est incontestable.
Nous devons aussi adopter une position beaucoup plus critique à l'encontre des variantes contemporaines du charlatanisme que sont les pratiques parapsychologiques et paramédicales théosophiques et mystiques. Le scientisme n'est pas non plus en reste. On vante des doses infraliminaires ou bien encore des machines comme des panacées dont les vertus ne sont pas différentes de l'imposition des mains.
Une règle éthique de bonne formation passe par l'analyse minutieuse de la fabrique de notre vocation médicale et psychiatrique. Comment se met en place cette sorte de pulsion épistémique? On imagine assez souvent qu'une analyse personnelle puisse beaucoup aider le futur praticien. C'est certain mais ce n'est pas suffisant. Les aberrations éthiques dans le monde des psychiatres psychanalystes sont aussi fréquentes et patentes que dans le monde organiciste. Il est inutile ici d'en exposer les facettes.
Je plaide pour une propédeutique de culture générale d'une ou deux années au début de la médecine. Le modèle viennois des années 1880 est dans toutes les mémoires. Une propédeutique préalable donnerait aux étudiants une formation générale permettant de mieux comprendre les problèmes éthiques
A.- Deux épisodes historiques: le poète Artaud en 1944 et la psychiatrie soviétique en 1974
1.- La saga du poète Antonin Artaud et de Gaston Ferdière. Une science naissante doit avouer sa précarité.
Ce merveilleux psychiatre pensait le bien de façon bonhomme. Le souvenir de l'affaire du poète Antonin Artaud va le poursuivre toute sa vie. Elle a été différemment interprétée. La réputation sulfureuse des écrivains auprès des psychiatres sera la conséquence du calvaire d'Artaud. Celui-ci, nous le savons, cultivait en surréaliste l'esprit valétudinaire. Chacun se souvient de sa déclaration "J'ai été malade toute ma vie et je ne demande qu'à continuer". Mais Quos vult perdere, Jupiter dementat… Ceux que Jupiter veut perdre, il les rend fous. Il connaîtra Sainte-Anne, Ville-Evrard et puis Rodez. Le premier certificat de placement le décrit ainsi: "Atteint de troubles mentaux caractérisés par des idées de persécution avec hallucinations; dit qu'on lui présente des mets empoisonnés, qu'on lui envoie des gaz dans sa cellule, qu'on lui met des chats sur la figure; voit des hommes près de lui. Dangereux pour lui-même et pour les autres ". À Sainte-Anne, le diagnostic d'entrée est le suivant: "Idées de persécution assez actives de la part de sa mère, des policiers, des vichnouïtes. Toxicomanie depuis 5 ans (héroïne, cocaïne, laudanum). Prétentions littéraires peut-être justifiées dans la mesure où le délire peut servir d'inspiration. À maintenir ". Ce dernier certificat est surprenant malgré sa grande précision. Je trouve en tous cas que pour un psychiatre compétent la messe était dite. A l'hôpital de Rodez, après de nombreuses sismothérapies, il fera des autoportraits poignants. A l'issue de cette art-thérapie, en mai 1946, il est prêt à reprendre pied dans la vie littéraire. Interrogé sur son expérience asilaire, il compare le vécu consécutif à l'électrochoc à l'errance désemparée des âmes en attente de réincarnation, telle que décrite dans le Livre des Morts Tibétain. Il considère donc qu'il fut aidé mais aussi persécuté par Ferdière à qui pourtant il continua de faire confiance.
Ferdière voulait le sauver de la famine -il me l'a dit 10 fois- mais aussi de l'autodestruction. Artaud fut en quelque sorte piégé par l'emprisonnement psychiatrique au moment où la guerre à l'extérieur de l'enceinte asilaire faisait rage autour de lui mais probablement sans jamais menacer sa vie personnelle sinon sous la forme d'un dépérissement. Il eût risqué la mort d'un côté tandis que d'une autre façon il a vécu un sauvetage doublé d'une souffrance. Nous sommes dans une situation éthique difficile. Notons cependant que Ferdière ne fut l'auxiliaire d'aucune institution répressive! Il n'avait en lui aucune espèce de pulsion inavouable.
Qui était Ferdière? Un homme bon, un saint qui s'est mis au services des internés arbitraires de l'Union Soviétique en un temps où nous n'étions en France qu'une vingtaine à nous mobiliser contre une camarilla internationale redoutable et qui avait d'ailleurs ses ramifications en France même. Rappelez vous qu'à la même époque le Parti Communiste, à l'instigation de Georges Marchais et, selon ses propres déclarations, Francis Würtz, créait, entre 1977 et 1980 ou 1990, un périodique qui s'appelait quelque chose comme "Le Bulletin des Droits de l'Homme" ou bien "Lettre du Comité de Défense des Libertés et Droits de l'Homme" et qui ne répondit jamais à mes représentations morales à propos de l'Affaire Viktor Fainberg (voir mes publications "L'affaire Victor Fainberg -une victime des internements psychiatriques arbitraires en URSS" dans la Revue de l'AMIF sept.1977
et dans la Revue de l'Evolution Psychiatrique oct.1977)! Un pharaon à Moscou aidé de ses sbires psychiatres suscitait des internements arbitraires en psychiatrie et torturait à la face du monde tout entier. Ferdière fut en tête comme les chevau-légers pour affronter les nouveaux barbares.
Sans doute a-t-il commis une faute à l'encontre d'Artaud. Mais laquelle? La psychiatrie tout entière en ce temps était paralysée par l'absence de traitement efficace et par une nosologie rigide. Elle pêchait par ingénuité et incompétence. La grande faute éthique, tout à fait collective, se situe donc à ce niveau là. Une autre sorte de réponse eût été attendue pour aider Antonin Artaud. Mais de quelle sorte? Et toute cette affaire justifie-t-elle la rancœur des poètes?
2.- L'affaire des psychiatres soviétiques 1974-1977 et son épilogue en 1998. Une psychiatrie sans mémoire est une faute éthique.
Mon attention fut sollicitée en 1998 d'apercevoir qu'un certain nombre de nos confrères psychiatres français fréquentaient ingénument des psychiatres soviétiques qui furent en leur temps de simples criminels en cols blancs. A Moscou et à Saint-Pétersbourg les noms des Lounts, G.V.Morozov, Onoufriev, Katsaiev (mais il n'était qu'interne) puis Snejnevsky, Vartanyan, Churkin, Koriaguine, Alexeievna, Blokhina et d'autres à Saint-Pétersbourg ont été cités 100 fois par leurs victimes au cours de ces sombres années (la description de ces sinistres événements se trouve dans le livre de Tania Mathon, L'Affaire Plioutch, en 1974). Ces gens, qui se disent psychiatres, publient encore! Une psychiatrie sans mémoire est une faute éthique. Et je me disais ceci: que faut-il donc aux intellectuels français pour peser les âmes? (Référence "Bulletin de Psychiatrie" Ephémérides N°2). Au Salon International Psychiatrie et Système Nerveux en 1998 à la Cité des Sciences à Paris l'un des exposés s'intitulait "Paris, Moscou, Saint-Pétersbourg: un siècle de relations psychiatriques franco-russes" avec les Drs Morozov, Pichot, Dimitrieva (excusée), Dr G. et Popov. Nous y avons observé une étrange amnésie des graves erreurs d'un grand nombre de psychiatres russes de 1975 à 1980 qui ont tant bouleversé les rapports entre psychiatres russes et français. Souvenons-nous des internements arbitraires d'opposants politiques comme Fainberg, Boukowski, Plioutch, Grigorenko et des tortures qu'ils ont endurées dans les services psychiatriques russes. Souvenons-nous du livre de V.Boukowski et S.Glouzman publié en 1975 sous le manteau, le "Guide de Psychiatrie à l'usage des dissidents soviétiques". On plaint les peuples sans mémoire. Mais que dire d'une psychiatrie sans mémoire? C'est pitoyable!
"Ne mélangeons pas le présent et le passé", disaient-ils! Cette affaire tragique nous a finalement beaucoup appris. Tout d'abord sur la communauté des psychiatres, le courage des uns et la lâcheté des autres. Les membres du Royal College of Psychiatry furent de remarquables et ardents chevau-légers. Je regarde nos collègues anglais depuis lors avec reconnaissance et admiration. Les psychiatres mobilisés en France étaient une poignée, 20 ou 30 peut-être. La réponse à l'Appel des Six en février 1974 comporte seulement 17 signataires. Parmi eux Bles, Ferdière et Koupernik qui furent d'ailleurs toujours et partout les représentants de l'honneur dans notre spécialité.
Autre leçon remarquable: les mathématiciens du monde entier furent en tête. Ceux-ci nous ont donné dès la première heure, dès janvier 1974, une leçon d'éthique psychiatrique que nous ne sommes pas près d'oublier! Je me dis que s'il devait exister un comité d'éthique psychiatrique il devrait comprendre absolument en son sein quelques mathématiciens du CNRS. L'attitude éthique eût consisté en ce temps là à mobiliser les psychiatres français comme un seul homme et à dire non aux psychiatres soviétiques. Pourquoi? Parce que ces crimes compromettaient l'image morale des psychiatres du monde entier. Ce voeu ne fut malheureusement jamais exaucé. L'éthique commande aussi de s'en souvenir.
B.- Quatre affaires contemporaines mettent en lumière nos carences éthiques: absence d'assister, absence d'interner, reconnaissance insuffisante du droit aux soins
1.- Le cas M.: Absence d'assister ou comment aider son prochain quand il est malade mental? L'épouse de cet avocat est gravement perturbée depuis cinq à dix ans. On lui oppose la problématique fallacieuse de l'absence de demande de la part de la patiente. Ainsi observons-nous la grande démission du secteur, c'est à dire de la psychiatrie de service public. La réponse argumentée du Pr X au mari de la patiente psychotique: "Ce n'est pas tellement dans nos habitudes d'intervenir au domicile!".
J'avais reçu le mari en 1998 peu après la sortie d'HO de son épouse. Je n'ai jamais pu rencontrer la patiente. Cet homme était désemparé. Il m'expose une situation parfaitement paradigmatique de la grandeur et de la faiblesse du secteur psychiatrique. Il ne sait que penser de l'état de sa femme. Il me fait le portrait d'une conjointe boudeuse, hostile, interprétative, sur la pente de la déchéance, accumulatrice d'objets hétéroclites et susceptible de temps à autres de passages à l'acte peu inquiétants mais ce sont des passages a l'acte tout de même. Je lui indiquai les stratégies de décision qui vont de la consultation en ville avec un traitement jusqu'à l'HDT avec les inconvénients extraordinaires de la loi de 1990. Mon intuition est celle-ci: il existe peut-être un processus qui de loin ressemble à une personnalité paranoïaque interprétative associée à une certaine forme de déchéance sociale -mais de loin seulement- pour laquelle une traitement neuroleptique spécifique eût été utile. Le désarroi de l'époux depuis ces 5 dernières années fait peine à voir.
Nous devons réfléchir à une éthique de l'assistance que jadis le secteur avait tenté de résoudre. Si un commentaire est possible d'un point de vue éthique il faut aussi composer avec la vie difficile du secteur mais aussi faire face à une sorte d'acte de décès de cette institution. Nous devons enfin réfléchir aux diverses facettes de la loi de 1838 et de celle de 1990. On ne peut pas dire qu'elle facilite la vie des patients en danger.
2.- Le cas de la jeune femme de Seine-Saint-Denis en 1999. Le problème éthique est encore dans le défaut d'assistance qu'entraîne la loi de 1990. Depuis 10 ans elle déploie son délire passionnel de type érotomane au dépens d'un prêtre. Elle se déplace de village en village poursuivant l'objet de ses représentations délirantes. Elle avait fait des études brillantes et avait été une sportive d'élite et puis elle s'est progressivement clochardisée. Elle est donc une patiente digne des cas cliniques de Clérambault, en plein 20ème siècle. Elle n'obtient aucune aide psychiatrique malgré les démarches des ses vieux parents.
3.- L'affaire de Nanterre. Le problème éthique résulte du caractère flou de la loi de 1990. Le patient, durant l'été 1998, quatre ans avant la tragédie avait brandi un pistolet devant le psychiatre psychothérapeute qui le suivait au Bureau d'Aide Psychologique Universitaire, exigeant la rédaction d'un certificat de normalité! Le médecin effrayé a signé puis ensuite aurait fait un signalement à je ne sais qui. Un autre psychiatre qui le suivait aurait également fait un signalement et une proposition de visite à domicile. Et peut-on ainsi s'estimer quitte! La bonne position éthique requiert une bonne connaissance de la législation psychiatrique qui est au programme de tous les concours de psychiatricat des hôpitaux depuis 100 ans (solliciter la famille pour un HDT en urgence, mise en oeuvre d'un réquisitoire ou d'un H.O. avec l'accord du Préfet). Mais une bonne position éthique consiste aussi à incriminer la faiblesse de la loi de 1990. J'avais émis à la faveur de la tragédie quelques réflexions dans ce sens: 1)Les insuffisances de la loi d'hospitalisation psychiatrique de 1990 2)La faiblesse des critères issus des DSM. J'ai entendu dans une émission publique les accusations d'une victime du drame. Cette rescapée de la tuerie en fait ne sait plus de quel côté se tourner pour trouver la faute. La faute réside dans cette sorte de judiciarisation progressive des placements psychiatriques. Les insuffisances graves de la loi d'HDT et d'HO de 1990 doivent être soulignées. Il est devenu effectivement plus difficile qu'avant de faire un placement tandis que le secteur de son côté -précarité ou idéologie- ne se sent plus en mesure de faire une visite à domicile. (Références bibliographiques: Ephémérides 10 consacrées à la situation des internements psychiatriques depuis la loi de 1990). Comme d'autre part des textes sont en préparation pour les prochains jours on peut espérer y trouver un remède.
4.- Le cas du Dr C., médecin généraliste, et de sa patiente qui exige avec acrimonie l'application de la loi de 2002. Celle-ci exige la copie des notes d'examen clinique, y compris les post-it la concernant, à la faveur de son passage à l'Infirmerie Psychiatrique du Dépôt. Les menaces sont sous-jacentes. Le psychiatre du Dépôt a supplié le médecin traitant de ne pas tout exposer sous les yeux de la patiente. Le médecin traitant est perdu et apeuré. Des juristes puis L'Ordre des Médecins appelés plusieurs fois à la rescousse répondent évasivement et s'abritent derrière des conseils généraux et désincarnés voire abstraits.
Où se situe la problématique éthique? Les patients ont droit de connaître leur dossier depuis 2002 et ceci répond à une revendication pleine de bon sens. Toute une littérature grise, assimilable à des manuscrits d'impression personnelle, pourrait demeurer confidentielle ou secrète (encore qu'une requête en droit ne les mettrait pas à l'abri d'une saisie). Le problème est celui-ci: l'insuffisance d'assistance auprès de médecins dans l'embarras. Ni les anciens ni surtout l'Ordre des Médecins ne manifestent la moindre sollicitude. Un médecin doit pouvoir soigner. Il doit aussi poser simplement les problèmes éthiques et les résoudre. Mais il ne devrait pas être tenu de connaître la comptabilité, le droit et que sais-je encore, pourquoi pas l'autodéfense! Trop de responsabilités pèsent de nos jours sur les épaules des médecins de ville. L'Ordre doit mieux jouer son rôle de "cellule de bon conseil". L'éthique requiert du médecin qu'il ait l'esprit libre et serein pour mieux exercer son art.
De façon générale nous autres spécialistes psychiatres, nous savons d'habitude ce que nous devons faire. La clinique nous guide et notre expérience aussi comme aussi le bon sens étayé par une bonne formation civique initiale. Les comités d'éthique sont-ils nécessaires? On peut en douter mais cet exposé lui-même prouve notre besoin d'interlocution si bien représenté par Paul Ricoeur. Nous avons été confrontés durant le siècle à des contre-exemples remarquables, nazis et soviétiques. Ces tragédies nous ont poussés confortablement dans le camp du bien. Et pourtant la psychiatrie demeurera un champ fertile pour le moraliste. Répétons ceci: l'éthique requiert du médecin qu'il ait l'esprit libre et serein pour mieux exercer son art!
Les quatre premiers textes nous plongent au coeur de la réflexion philosophique à propos de l'éthique. Ce mode de questionnement est nécessaire pour que les problèmes éthiques ne sombrent pas dans une conversation futile.
1er) Le texte de C.Louzoun aborde la question du paternalisme médical.
Inspiré de Résistance Santé Mentale 2000: normes, responsabilité, éthique avec Claude LOUZOUN et Denis SALAS. Ceux-ci étudient sept thèmes: le paternalisme, la technique, le consentement aux soins, l'autonomie, l'identité et la propriété du corps.
La fin du paternalisme médical. Le public des patients devient de plus en plus autonome. Le modèle de l'autonomie ou de l'autodétermination du patient tel nous vient des Etats Nordiques et surtout de l'Amérique. Le patient exige une information exhaustive comme dans une relation de service commercial. Ceci ne paraît guère acceptable dans notre civilisation. Le médecin chez nous endosse en effet une morale du Bien. Le paternalisme bienfaisant peut justifier une rétention d'information quand celle-ci est jugée trop douloureuse. Or une médecine plus efficace requiert de plus en plus le consentement du patient. L'accroissement des connaissances du public est aussi un grand argument. Ceci est encore plus vrai depuis l'avènement d'internet. La loi Huriet-Sérusclat sur la recherche en médecine date de 1988. Le scandale du sang contaminé a suscité une grande révolte dans les esprits. Les gens exigent une négociation et un processus de consentement au sein même de la consultation médicale transformant ainsi le colloque singulier en colloque contractuel.. La technique est devenue un monde en soi. Pensons aux techniques lourdes de la procréatique mais aussi à celles de la réanimation. Pensons à la question des sismothérapies d'une part et aux internements psychiatriques de l'autre. L'HDT requiert une théâtralisation dramatique du geste médico-légal qui échappe au simple bon sens.
On dit souvent que les gens veulent conjurer la perte de sens introduite par la technique et par la mort. Je crois surtout qu'on veut une sôphrosunè (swfrosunh) ou raison raisonnable pour s'opposer à l'ubris (ubris) ou violence de la nature parce que nous croyons voir se profiler à l'horizon un monde sans guerre.
Comment mieux penser le consentement aux soins? Opposons le droit anglo-saxon au droit français. Trois moments importants de la vie se côtoient et se confrontent: l'autonomie, l'identité personnelle, le rapport au corps. Le consentement aux soins se fonde sur le principe du respect de l'autonomie du patient. Que penser de celui qui refuse une transfusion sanguine? Dans la pensée anglo-saxonne, le fondement de l'autonomie est une indépendance négociée, Le pouvoir politique doit être discret. Le vieil Habeas Corpus interdit les emprisonnements arbitraires et protège l'individu et son corps au dépens de l'autorité administrative. La France s'est dotée de lois de la bioéthique tandis qu'aux Etats-Unis ces questions sont réglées par la voie jurisprudentielle. Le médecin doit respecter la liberté du patient, ses croyances, ses choix, quand bien même il les juge irrationnels: des états américains respectent depuis le 1er décembre 1991 le Patient Self-Determination Act. Les patients informés des soins médicaux ont le droit de ne pas y consentir.
L'identité personnelle est-elle la mêmeté ou l'ipséité?
Qu'est-ce que l'identité? Est-ce la mêmeté, néologisme philosophique qui indique bien le fait de persévérer dans l'être? Voltaire dans le Dictionnaire philosophique proposait déjà le terme: "Vous n'êtes le même que par le sentiment continu de ce que vous avez été et de ce que vous êtes; vous n'avez le sentiment de votre être passé que par la mémoire: ce n'est donc que la mémoire qui établit l'identité, la mêmeté de votre personne". Ou bien l'identité est-elle la singularité, ce par quoi une personne est "elle-même", autrement dit l'ipséité du langage philosophique classique (Note: C'est la conscience dans son ipséité fondamentale qui permet l'apparition de l'Ego, dans certaines conditions, comme le phénomène transcendant de cette ipséité. Sartre, L'être et le Néant, p. 147, 1943). Pourquoi, dans notre pays, interne-t-on quelqu'un par la contrainte? Parce que n'étant plus le même aujourd'hui qu'hier il n'est plus capable de dire "je veux ou je ne veux pas conduire mes soins moi-même".
Mais si je ne suis pas le même qu'hier c'est en raison de l'écoulement naturel du temps. Si je m'oppose à une telle conception je risque alors de nier l'historicité de la personne. C'est pourtant ce dernier modèle qui prévaut dans les pays anglo-saxon. Et, quant à moi, je ne permettrai à personne de dire que la civilisation anglo-saxonne est plus rude que la nôtre! Nous devons en rabattre quand à nos prétentions d'héritiers de la Philosophie des Lumières. Comment raisonne-t-on en France? Les médecins français ne veulent pas dire toute la vérité aux malades. "Laissons du temps au temps", disent-ils. Le consentement du patient aux soins pourra varier puisque son être se meut dans le temps.
Le philosophe Paul Ricoeur, dont tout le monde connaît les magnifiques travaux, parle de "l'identité narrative" de l'homme, la sorte d'identité à laquelle accède l'être humain grâce à la médiation de la fonction narrative (Réf. Temps et Récit Paul Ricoeur, thème repris dans le numéro spécial de la Revue Esprit en juillet 88). Ceci me paraît d'ailleurs également vrai pour un peuple tout entier: il s'institue en se souvenant.
La personne et son corps.
Notre corps nous appartient-il? Dans le modèle autonomiste anglo-saxon l'homme possède une sorte de droit de propriété sur son corps comme une conséquence lointaine de l'Habeas Corpus. Dans le modèle français, l'homme n'est pas propriétaire de son corps. Nous héritons de "Personne n'est propriétaire de ses propres membres" du Code Justinien. Le corps est la personne même: il n'est pas une chose. La loi Caillavet confie le corps à la solidarité nationale. Le risque est dès lors incontestable d'autoriser en psychiatrie l'arbitraire de l'état. C'est pourquoi les Anglo-Saxons avaient mieux perçu et plus rapidement que nous-mêmes les errements de la psychiatrie soviétique. Plus que nous les Anglo-Saxons sont allergiques aux atteintes aux droits de la personne et du corps.
Comment conclure?
Les conceptions française et anglo-saxonne diffèrent donc profondément. Mais elles tendent à se rapprocher l'une de l'autre. Ainsi depuis peu en France affirme-t-on avec force le principe d'autonomie. Le Rapport Evin de juin 1996 requiert le consentement du patient, le respect du refus de traitement, l'information des patients bref les droits accrus des patients face aux devoirs des médecins.
Autre question: comment sommes-nous passés de la morale religieuse à l'éthique séculière? D'où vient la morale? L'éthique est-elle devenue purement et simplement une méthode pratique pour instaurer une vie confortable? Ceci est peu vraisemblable. Existe-t-il une rationalité universelle transcendantale comme le dit Kant? Lévinas en France et Jonas en Allemagne fondent la moralité sur la vulnérabilité de l'Autre. Ricoeur expose une thèse très proche. Cette question est brûlante pour le philosophe. Mais elle est aussi devenue entre-temps un enjeu planétaire depuis qu'internet pénètre dans nos chambres. Ce vaste tam-tam planétaire contraint les participants à respecter les droits d'autrui. Ainsi voyons nous cohabiter dans certains forums scientifiques préhistoire et modernité! Internet place chacun d'entre nous dans une posture de spectateur de joutes oratoires épiques entre les états de droit et les nations barbares.
2ème) Voici comment Ricoeur expose l'éthique à la faveur d'un dialogue avec le Pr Pélicier intitulé "Entre Le Philosophe et le Psychiatre, L'Ethique, entre le Mal et le Pire". Il aborde cinq thèmes: le bien-vivre, la souffrance, la réciprocité, les cas d'exception et le dogmatisme.
1 - ETHIQUE ET BIEN-VIVRE
Ricoeur nous dit ceci: Le rapport médical est un rapport avec la souffrance, avec la mort. Je suis parti sur une conception à trois étages du problème moral à savoir l'éthique, la morale et la sagesse pratique. Et, à chacun de ces étages, il doit y avoir une implication médicale.
L'Éthique plonge dans le désir d'accomplissement. Je ne veux pas laisser réduire l'Éthique à la moralité du devoir. L'Ethique plonge dans le désir d'accomplissement. Cette position du désir, non seulement, de vivre, mais de bien vivre, c'est-à-dire, dans un accomplissement où je trouve satisfaction. Pour moi, la deuxième composante de ce désir de vivre bien, c'est que l'Autre, ou un Autre, y est toujours impliqué avec un Autre qui a un visage.
La souffrance n'est pas la douleur. J'ai écrit une fois un petit texte (plutôt pour des amis psychiatres) un texte qui s'intitulait "La souffrance n'est pas la douleur. Toutes les formes de souffrance m'atteignent dans tout l'éventail de mes capacités". Le bonheur n'est pas incompatible avec la souffrance. Par "bonheur", j'entends la capacité à trouver une signification, une satisfaction, dans l'accomplissement de soi
2- ETHIQUE ET RECIPROCITE
Le Pr Pélicier introduit la remarque suivante: Les situations qui appellent l'Ethique sont des situations asymétriques.
P.R. - Certainement qu'il y a un piège, mais, avant le piège, Il y a une impossibilité. Il est quand même très frappant de constater que les situations qui appellent l'Ethique sont des situations asymétriques. Je veux dire que, l'un, est le malade, et l'autre, le médecin. Où est la réciprocité là-dedans? Mais, vous avez une limite à la réciprocité, qui est l'insubstituabilité. Ce problème d'asymétrie me trouble beaucoup, parce qu'il est constant.
3. -ETHIQUE ET EXCEPTION
P.R. - Dans la mesure où la justice est une sorte d'égalité. Il s'agit, en effet, dans une situation radicalement asymétrique, de réintroduire le maximum possible de symétrie. Je me permets de dire que les problèmes vraiment difficiles de la morale ne sont pas de choisir entre le Bien et le Mal. Les cas bien plus difficiles sont ceux où l'on doit choisir entre le gris et le gris. C'est aussi choisir entre le Mal et le Pire. Ce que les juristes appellent les "hard cases", les cas difficiles, sont ceux que l'on ne voit pas sous quelle règle placer. Il faut donc inventer une sorte de règle "ad hoc". Autrefois, vous aviez (elle existe toujours) la jurisprudence, dans l'ordre juridique, mais aussi la casuistique, dans l'ordre moral. La casuistique a acquis une mauvaise réputation, parce que ce serait une façon de contourner les normes. Mais la vraie casuistique, c'est, justement, de créer des normes pour des cas singuliers. Ce que Aristote appelait "équité" pour la distinguer de la "justice". Dans la justice on connaît la règle, dans l'équité, il faut la trouver.
4. ETHIQUE ET DOGMATISME
Des médecins posent la question suivante: un enseignement de l'Ethique est il possible, d'autant qu'il s'agit de penser par soi-même?
Voici la réponse de Ricoeur: Derrière l'émotion brute il faut retrouver la force argumentative enfouie dans les sentiments. Si on veut initier des jeunes, des enfants même, aux problèmes éthiques, il faut les faire réfléchir sur des cas: "Comment jugeriez-vous dans tel cas?" La question du dogmatisme doit être examinée. Il faut faire apparaître le côté plausible (au sens fort de ce qui mérite d'être plaidé) de plusieurs côtés. Je crois que c'est très important comme valeur éducative. Le danger inverse du dogmatisme est dans le scepticisme et le relativisme, qui sont des formes de défaitisme, face aux complexités de la vie. Comme je le disais, tout à l'heure, les choix difficiles sont entre gris et gris, et, plus encore, entre noir et plus noir.
Les rapports de l'éthique et de la psychanalyse n'ont pas été suffisamment étudiés. Ce sont essentiellement des philosophes qui s'en préoccupent comme par exemple Ricoeur. "Pas d'éthique avec la psychanalyse, s'interroge Jean-Paul Ricoeur, pas de sujet sans éthique, pourrait-on penser, et pas de sujet désirant, au sens de la psychanalyse, sans une éthique qui prenne en compte la dimension de l'inconscient". Dans un autre texte. Danièle Lévy, psychanalyste, préparant les Etats Généraux de la Psychanalyse en 2001 s'est souciée de résumer de façon très brillante une proposition qui reprend en fait la thématique très dense de Lévinas sans toutefois le citer. "L'éthique du psychanalyste se règle sur le maintien d'un espace d'énonciation, où le sujet puisse advenir en son désir et sa vérité. Cette éthique se fonde sur un principe d'altérité qui repose non seulement sur la reconnaissance de l'autre comme différent, mais aussi et d'abord sur la reconnaissance d'un lieu spécifique où se déploie la parole".
Mais par contre n'a-t-on pas assez examiné les enjeux éthiques beaucoup plus graves en psychanalyse qu'en psychiatrie à savoir, dans les instituts de formation, les effets dirimants des productions de dogmes et des luttes de pouvoir au dépens de la qualité et de la validité des cures analytiques.
3ème) A la faveur d'une discussion à bâtons rompus dans un forum diverses positions sont examinées de Ricoeur à Lévinas. Les thèmes sont: l'importance de l'éthique de la discussion, de l'image de l'autre et enfin la morale positiviste de Changeux
-S.Reb..- L'intersubjectivité, la dimension éthique de la reconnaissance d'autrui. Certains auteurs estiment que ma réflexion, qui est comprise dans mon entreprise de parole avec d'autres, ne suffit pas encore à la véritable reconnaissance d'autrui. Il faut encore, estiment-ils, que la réflexion comporte une dimension éthique (morale). Seul le respect éthique nous ouvre à l'autre comme autre, ainsi que le montrent notamment Paul Ricoeur et Emmanuel Levinas.
-P. Ricoeur estime que le sens d'autrui comme autre ne peut apparaître, au niveau de la conscience réflexive, que dans l'expérience éthique. S'inspirant de l'analyse kantienne de l'obligation morale (la personne est une fin en soi, pas seulement un moyen; le respect pour la loi morale est le respect universel de l'être raisonnable), cet auteur écrit: "je ne puis limiter mon désir en m'obligeant sans poser le droit d'autrui à exister de quelque manière; obligation et existence d'autrui sont deux positions corrélatives. Il n'est pas possible que je reconnaisse autrui dans un jugement d'existence brute qui ne soit pas un consentement de mon vouloir au droit égal d'un vouloir étranger" (Sympathie et respect, Phénoménologie et éthique de la seconde personne dans Revue de métaphysique et de morale, oct.-déc. 1954).
-E. Levinas estime également que, concernant autrui, l'éthique est une optique nécessaire. Son ouvrage, Totalité et Infini (1961), souligne la contradiction que renferme la compréhension d'autrui au sein d'un système. Le sens d'autrui est qu'il transcende mes concepts et mes prises de position, qu'il s'agisse de vision du monde, du mouvement de l'histoire ou de projet politique. Le sens d'autrui donnerait une idée de l'Infini!
-Ricoeur invoque de fait une morale universelle, une capacité issue des trois grandes traditions judéo-chrétienne, des Lumières, et du romantisme (justice fondée sur l'amour, justice fondée sur la raison, justice fondée sur le rapport à la vie en nous et dans la nature environnante).
-Changeux nous propose une morale positiviste qui est bien entendu très contestable. Que dit-dit? "La tendance au cloisonnement disciplinaire accable nos institutions. Une morale universelle, pense-t-il, peut découler naturellement d'une connaissance de ce qu'est l'homme et son cerveau, cette connaissance devrait nous permettre de mieux nous orienter - je suis peut-être optimiste - sur ce que nous souhaitons faire de l'homme, sur le modèle que nous devons avoir en tête de l'homme dans la société et le monde à venir".
4ème) Dans le programme universitaire de Genève Lausanne en 2000, Lazare BENAROYO résume bien le contenu de son séminaire "Fondements phénoménologiques de l'éthique médicale: temporalité, narrativité et herméneutique". "Il ne peut y avoir homogénéité et uniformité d'attention et d'attitude envers la maladie et envers le malade. La prise en charge d'un malade ne relève pas de la même responsabilité que la lutte rationnelle contre la maladie" Ces propos de G. Canguilhem laissent entrevoir les difficultés épistémologiques suscitées par l'approche médico-scientifique contemporaine de l'homme souffrant; ils mettent en exergue la nécessité d'opérer une "réduction" méthodologique autre que celle des sciences expérimentales, dès lors qu'il s'agit de démasquer l'envergure éthique de la relation clinique. S'appuyant sur une épistémologie critique de la pratique médicale, le séminaire va se pencher sur les travaux de Ed. Husserl, M. Heidegger, M. Merleau-Ponty, P. Ricoeur et E. Lévinas en vue d'esquisser une anthropologie phénoménologique de la relation à l'homme souffrant, portant une attention particulière aux catégories de temporalité, de narrativité et de responsabilité pour autrui. A la lumière des travaux de Ricoeur, il sera notamment suggéré qu'une approche herméneutique venant se greffer sur la perspective phénoménologique peut servir de guide à l'élaboration d'une éthique de la relation de soin faisant écho aux exigences de l'art thérapeutique.
5ème) Ce texte, La déclaration de Madrid, écrit en juin 1999 comporte sept grands chapitres. Elle constitue une mise à jour du code de déontologie. Ainsi donc la boucle est bouclée qui nous ramène du questionnement philosophique aux codes de déontologie proprement dits. Nous en examinerons cependant les qualités et les faiblesses.
La déclaration de Madrid
2 - Il est du devoir des psychiatres de suivre les développements scientifiques de leur spécialité et de contribuer à une mise à jour mutuelle des connaissances. Les psychiatres formés à la recherche doivent chercher à étendre les frontières scientifiques de la psychiatrie.
3 - Le patient doit être considéré comme un partenaire à part entière dans le processus thérapeutique. La relation thérapeutique doit être basée sur la confiance et le respect mutuel pour permettre au patient de prendre des décisions libres et éclairées. Il est du devoir des psychiatres de fournir au patient les informations pertinentes de manière à lui donner la possibilité de parvenir à une décision raisonnée et conforme à ses valeurs et préférences personnelles.
4 - Lorsque le patient est incapable et/ou hors d'état d'exercer un jugement valable en raison d'un trouble mental, le psychiatre doit prendre l'avis de la famille, et si cela est opportun prendre conseil auprès d'un juriste pour assurer la protection de la dignité humaine du patient et des ses droits légaux. Aucun traitement ne devra être pratiqué contre la volonté du patient, à moins que le refus de traitement ne mette en danger sa vie et /ou celle de son entourage. Les traitements doivent toujours être utilisés dans le seul intérêt du patient.
5 - Lorsque les psychiatres sont chargés de procéder à une expertise ils doivent en informer la personne concernée et lui préciser l'objet de leur mission, l'utilisation de leurs conclusions et les conséquences possibles de leur mission. Ceci est d'une particulière importance lorsque les psychiatres interviennent dans des situations où sont impliqués des tiers.
6 - Toute information recueillie dans le cadre de la relation thérapeutique doit rester confidentielle et ne servir exclusivement que dans le seul but d'améliorer l'état de santé mentale du patient. Les psychiatres s'interdisent d'utiliser de telles informations à des fins personnelles ou pour en tirer des bénéfices financiers ou académiques. Ce n'est qu'au cas où le maintien de la confidentialité mettrait sérieusement en danger la santé physique ou mentale du patient ou d'un tiers qu'elle pourrait être levée; dans de telles circonstances les psychiatres devront dans la mesure du possible informer en premier le patient de ce qui va être fait.
7 - Toute recherche qui n'est pas conduite conformément aux données de la science n'est pas éthique. Les activités de recherche doivent être approuvées par un comité de recherche constitué de manière appropriée. Les psychiatres doivent respecter dans la conduite de la recherche les règles nationales et internationales. Seules des personnes formées spécialement à la recherche doivent l'entreprendre ou la diriger. En raison de la vulnérabilité particulière des malades mentaux vis à vis de la recherche des précautions particulières doivent être prises pour sauvegarder aussi bien leur autonomie que leur intégrité physique et mentale. Des règles éthiques doivent aussi être respectées dans le choix des populations étudiées, dans tous les types de recherche y compris les études épidémiologiques et sociologiques ainsi que dans les recherches collaboratives associant d'autres disciplines ou plusieurs centres d'investigation.
L'Association Mondiale de Psychiatrie a en 1977 approuvé la Déclaration d'Hawaï formulant des recommandations éthiques pour la pratique de la psychiatrie. Cette déclaration a été révisée à Vienne en 1983. Tenant compte des modifications survenues dans les attitudes sociales et des récents développements de la médecine en ce qui concerne l'exercice de la profession psychiatrique, l'Association Mondiale de Psychiatrie a procédé à nouveau à un examen et à une révision de certaines de ces règles éthiques.
La médecine est à la fois un art, celui de guérir, et une science. C'est la psychiatrie, branche de la médecine spécialisée dans le soin et la protection de ceux qui souffrent d'une maladie ou d'une infirmité en raison d'un trouble mental ou d'une incapacité, qui reflète le mieux la dynamique de cette association. Bien qu'il puisse y avoir des différences culturelles, sociales ou nationales, le besoin d'un code de conduite éthique et de la révision constante de ses règles sont universels.
En tant que praticiens de la médecine les psychiatres doivent être conscients à la fois de ce qu'implique du point de vue éthique le fait d'être médecin et de la spécificité des exigences éthiques de leur spécialité. En tant que citoyens les psychiatres doivent être les défenseurs du droit des malades mentaux à un traitement juste et équitable, de la justice sociale et de l'égalité.
C'est en se basant sur leur sens individuel de leur responsabilité vis à vis du patient et de leur capacité à juger de la conduite correcte et appropriée que les psychiatres se conforment de manière éthique. Les règles extérieures ou l'influence que peuvent avoir les codes déontologiques, l'étude de l'éthique, ou les règles légales ne suffisent pas en elles-mêmes à garantir une pratique éthique de la médecine.
Les psychiatres doivent à tout moment garder présentes à l'esprit les limites de la relation psychiatre-malade et se guider avant tout sur le respect dû aux patients et l'intérêt porté à leur bien être et à leur intégrité.
C'est dans cet esprit que l'Association Mondiale de Psychiatrie a fait approuver par son Assemblée Générale les règles éthiques suivantes qui doivent désormais régir la conduite des psychiatres dans le monde entier.
Commentons ces propositions éthiques.
La déclaration de Madrid réitère une consigne de compétence. C'est probablement, selon moi, la première règle éthique. La compétence doit être conforme aux données les plus récentes de la science. Cette sorte d'exigence fait cruellement défaut sous nos climats.
La question de l'information des patients est un thème très important. Elle n'est guère prise en compte dans notre pays. La déclaration affirme d'autre part que toute information recueillie dans le cadre de la relation thérapeutique doit rester confidentielle. Je crois que la déclaration a fait l'impasse sur la recherche médicale et l'art d'écrire. C'est la grandeur d'un psychiatre que d'utiliser ses connaissances cliniques pour faire progresser la science dans des publications. Il doit cependant garantir à ses patients la plus extrême discrétion.
La déclaration dit qu'aucun traitement ne devra être pratiqué contre la volonté du patient. Dans ce cas je crains que cette réflexion soit émise par des personnes qui n'ont jamais fait de psychiatrie auprès de patients psychotiques.
La déclaration aborde la question des expertises. Les propositions de Madrid sont parfaitement insuffisantes. Il ne suffit pas d'informer un patient de l'objet de la mission -procédure banale qui est obligatoirement écrite dans toute expertise sans quoi elle est frappée de nullité-. Il faut surtout informer le public que l'expertise psychiatrique requiert une formation complémentaire pointue de la part du psychiatre: c'est une véritable requête morale. Nul ne devrait se prétendre expert s'il n'a pas acquis une formation spécifique en complément de la psychiatrie. Enfin, toujours dans le domaine de l'expertise, une opposition est formulée à propos de l'expertise d'un criminel susceptible d'être condamné à la peine capitale. Nous essayons de comprendre cette assertion absurde. Quel est donc le rapport avec la conduite éthique du psychiatre? Il existe une méthodologie de l'expertise psychiatrique pénale à savoir une réflexion et un jugement quant au degré de responsabilité. Ne voudriez-vous pas attester si Eichmann était mentalement responsable? Oui ou non?
A l'occasion du congrès et de la publication de la Déclaration, le Dr Garrabé avait tenu à préciser ceci: "L'Association Mondiale de Psychiatrie a déjà publié des déclarations de nature éthique condamnant des pratiques qui font effectivement perdre au psychiatre son identité de médecin. Celle qui a eu le plus de retentissement est celle d'Hawaï, votée en 1977 lors du congrès à Honolulu, mais une autre a été adoptée le 25 Août dernier à Madrid lors du Xe Congrès. Or il ne faudrait pas oublier que si la première condamnait l'utilisation abusive de la psychiatrie à des fins de répression politique, celle-ci se fondait en URSS et en Europe de l'Est sur une théorie de la schizophrénie torpide élaborée dans un Institut de recherche. Il est cependant surprenant de voir l'actuelle directrice de cette institution continuer à minimiser l'importance de ces abus sans doute parce que n'a pas été suffisamment discuté et établi le caractère erroné du point de vue scientifique, donc éthique, de cette théorie". Sur ce point nous devons absolument approuver les commentaires critiques de notre collègue. Mais ce n'était pas suffisant. La déclaration de Madrid faisait allusion au congrès de Hawaï. Mais elle faisait, à mon avis, preuve encore une fois d'un excès d'esprit diplomatique. Il s'agissait à l'époque de la condamnation des crimes psychiatriques imputables à des institutions précises. Je veux déplorer cette sorte de naïveté, de la part de notre confrère français, qui lui fait méconnaître la pulsion criminelle chez certains médecins pervers éternels auxiliaires du dernier pouvoir en place.
Quand ces fautes morales se produisent des sanctions sont nécessaires. Nous devons réclamer à ces pays de dire le droit ou bien éventuellement brandir la menace de les exclure des sociétés scientifiques internationales. Ainsi pourrons-nous satisfaire le voeu du philosophe: deux choses m'emplissent d'admiration et de vénération le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale au fond de mon coeur.
On consultera utilement:
La Déclaration de Madrid, 8 juin 1999
Tania Mathon, L'Affaire Plioutch, en 1974.
V.Boukowski et S.Glouzman, "Guide de Psychiatrie à l'usage des dissidents soviétiques", édition clandestine vers 1974
Paul Ricoeur , Temps et récit I-III (1980-1983)
Numéro spécial de la Revue Esprit en juillet 88, Paul Ricoeur
"L'Affaire Viktor Fainberg -une victime des internements psychiatriques arbitraires en URSS" dans la Revue de l'Evolution Psychiatrique en oct. 1977
Neuropsychiatre
Psychanalyste
Directeur du Bulletin de psychiatrie
fineltainl@yahoo.fr